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ÉTUDES SUR L’ALLEMAGNE.

les empereurs, devenus maîtres du royaume de Naples, prirent pour ainsi dire à revers le saint-siége et le parti guelfe : deux papes, dépossédés et fugitifs, tinrent en échec la puissance de Frédéric II, et, peu d’années après la mort de ce prince, sa race s’éteignit misérablement. Après la chute de cette illustre maison de Souabe, vint une longue période d’anarchie appelée par les historiens le grand interrègne, parce que des fantômes d’empereurs, comme Guillaume de Hollande et Richard de Cornouailles, ne peuvent être considérés comme ayant réellement exercé l’autorité impériale. Le droit d’élire l’empereur commença à devenir l’apanage exclusif d’un certain nombre de princes appelés électeurs, auxquels ce grand privilége donna une place à part et une prépondérance que celle du chef de l’état ne parvint plus désormais à balancer. Tous les membres de l’empire, évêques, princes, seigneurs, villes, travaillèrent à l’envi à se créer une position indépendante ; l’anarchie se mit partout, et il n’y eut plus de droit que le droit du plus fort[1]. En 1273, Rodolphe de Habsbourg fut élu, parce qu’on espérait qu’assez puissant pour rétablir l’ordre, il ne le serait pas assez pour rendre son ascendant au pouvoir impérial. Ce grand prince fit régner la justice et rendit la paix à l’Allemagne ; mais il assura à sa famille le duché d’Autriche, et les électeurs, craignant que les Habsbourg ne devinssent trop forts, refusèrent d’appeler son fils à l’empire. Pendant les cent cinquante ans qui s’écoulèrent depuis la mort de Rodolphe jusqu’à l’élection d’Albert II, la jalousie des princes ne permit à aucune famille de s’affermir sur le trône impérial. Les maisons de Nassau, d’Autriche, de Luxembourg, de Bavière, vinrent s’y asseoir alternativement, mais sans pouvoir rendre la force à une autorité dont elles n’avaient que la jouissance passagère et contestée. Les empereurs, en désespoir de cause, ne s’occupèrent que de leurs états héréditaires, vendirent aux princes des priviléges exorbitans, et dissipèrent ce qui restait du domaine impérial. Presque tous passèrent leur vie à guerroyer contre des compétiteurs ; deux d’entre eux furent déposés solennellement. L’empire tendit de plus en plus à devenir une république aristocratique, et la bulle d’or de Charles IV ne fit que constater l’incurable impuissance du pouvoir central. En 1438, Albert II fut élu, et la dignité impériale entra dans la maison d’Autriche pour n’en plus sortir jusqu’à l’extinction de la lignée masculine de Rodolphe de

  1. C’est ce que les Allemands appellent Faustrecht, droit du poignet. Plusieurs périodes de leur histoire sont caractérisées par ce nom.