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moins l’indifférence, régnaient de cercle à cercle, de ville à ville, de principauté à principauté, et l’empire, livré à d’irrémédiables dissensions, s’approchait chaque jour du terme où devait s’accomplir sur lui l’oracle évangélique, si profond dans sa simplicité : Tout royaume divisé en lui-même sera ruiné.


III — état moral de l’allemagne à la fin du xviiie siècle.

La France fut l’instrument de la destruction de l’empire, et elle le fut moins encore par ses armes que par ses idées. Quelque forte que fût la révolution, ses premiers coups n’auraient pas renversé si aisément le vieil édifice germanique, si les fondemens n’en eussent été minés par un travail analogue à celui qui prépara chez nous la ruine de l’ancienne monarchie. À la fin du XVIIIe siècle, le mépris du passé et l’impatience du présent régnaient en Allemagne comme en France : on répétait avec complaisance la plaisanterie de Voltaire sur le saint empire romain, qui n’était ni saint, ni empire, ni romain. Les défauts, frappans, il est vrai, des vieilles institutions, étaient devenus un sujet habituel de raillerie[1], et on fermait les yeux sur ce que leur action avait de doux et de tutélaire. Ceux même qui vivaient de ces institutions étaient les premiers à les attaquer ; et, au lieu de rechercher ce qu’il était possible de faire pour les réformer et les améliorer, les esprits se laissaient emporter à un désir effréné d’innovations qui ne reculait pas devant l’idée d’un bouleversement complet. C’est que nulle part plus qu’en Allemagne on avait adopté la philosophie française avec son mépris superbe pour la religion, ses récriminations amères contre l’ordre social et ses plans aventureux pour une refonte radicale de l’humanité. Quelques détails sur la manière dont les nouvelles doctrines s’étaient propagées, et sur leurs premiers résultats, sont nécessaires pour donner une idée précise de l’état moral du pays.

Parmi les causes qui disposèrent les esprits à accueillir favorablement cette philosophie, il faut mettre au premier rang l’influence de Frédéric-le-Grand. On connaît ses rapports intimes avec Voltaire et les encyclopédistes, sa prédilection pour les idées françaises et la langue française : puissante recommandation pour tout ce qui

  1. On lisait beaucoup alors les Staatsanzeige de Gœttingue, où le savant Schlœzer signalait sans pitié les misères des petits états d’empire et attaquait les vices de la constitution germanique, qu’il contribua beaucoup à discréditer.