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ÉTUDES SUR L’ALLEMAGNE.

tureux. Est-il besoin de dire que les tentatives du réformateur impérial ajoutèrent beaucoup à la confusion et à l’inquiétude qui régnaient déjà dans les esprits, qu’elles furent un puissant encouragement pour les novateurs de toute espèce au dedans et au dehors de la monarchie autrichienne, et qu’en diminuant le respect des peuples pour l’autorité spirituelle et temporelle, elles frayèrent la voie aux bouleversemens qui se préparaient ?

La double influence des réformes de Joseph II et du mouvement philosophique français ne se fit sentir nulle part avec plus de force que dans les principautés ecclésiastiques du Rhin, et, chose étrange, ce fut avec la faveur et l’appui des électeurs archevêques. Possédant, en vertu des lois de l’empire, la plénitude de l’autorité temporelle, ces princes supportaient impatiemment que leur autorité spirituelle fut limitée par la primauté du pape, et ils auraient désiré se rendre aussi indépendans à son égard dans l’église qu’ils l’étaient dans l’état à l’égard de l’empereur. Il résulta de là que la conduite de Joseph II eut pour approbateurs et pour imitateurs les premiers dignitaires de l’église germanique. Une querelle de juridiction s’étant élevée entre les électeurs ecclésiastiques et le nonce du pape, ces princes tinrent à Ems un congrès où on les vit, d’accord avec le quatrième archevêque d’Allemagne, celui de Salzbourg, définir suivant des maximes tout-à-fait schismatiques les limites respectives de leur autorité et de celle du saint-siége. Moins de vingt ans après cette levée de boucliers contre Rome, les quatre prélats avaient perdu non-seulement leurs belles et riches principautés, mais encore leurs siéges archi-épiscopaux.

Indépendamment de leurs attaques contre l’autorité du pape, les électeurs ecclésiastiques encourageaient ou toléraient la propagation de la nouvelle philosophie française, qu’ils laissaient enseigner dans leurs universités, en même temps que les livres et les journaux travaillaient à la répandre dans le peuple. Pendant que l’archevêque de Mayence accueillait avec distinction à sa cour le fameux abbé Raynal, les chanoines à seize quartiers et la noblesse des électorats travaillaient de concert à faire des prosélytes aux doctrines prêchées par cet écrivain et par les philosophes du temps. Les écrits les plus hardis étaient ceux qu’ils recherchaient et vantaient le plus ; les bustes de Voltaire et de Rousseau avaient remplacé dans leurs appartemens les images de la mère du Christ et celles des saints apôtres ; ils ne juraient que par Mably, Rousseau, Raynal et Helvétius, traitaient de préjugés surannés toutes les vieilles idées, parlaient avec enthousiasme de