Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/965

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
961
LA CHOUANNERIE EN BRETAGNE.

sauvé lui-même par le 9 thermidor. Le besoin de contredire était plus fort chez cet homme que le sentiment de sa propre conservation. La logique n’avait jamais aucune part au choix de ses opinions ; il se ralliait aux minorités par malveillance comme d’autres se ralliaient aux majorités par lâcheté. Peu lui importaient les subites conversions, pourvu qu’elles l’empêchassent de penser comme tout le monde ; pour lui, la raison, le devoir, la dignité, c’était l’opposition. Il se faisait gloire de cette mauvaise nature, et appelait ce mécontentement perpétuel son indépendance. Il me parla longuement des excès commis par les chouans dans le pays, traita de trahison l’indulgence du nouveau gouvernement, et m’avertit que je ne pourrais me rendre sans les plus grands dangers à Lachèze, où j’avais affaire.

— Grace aux muscadins qui nous gouvernent, ajouta-t-il, nos campagnes ressemblent au grand désert, et l’on ne s’y risque plus qu’en caravane. Du reste, voici le capitaine Rigaud, qui va, j’espère, te tirer d’embarras.

Un homme d’une quarantaine d’années venait en effet de tourner la rue, et s’avançait vers nous. Il portait une redingote militaire blanchie par un long service, des sabots sans talons et un vieux feutre décoré d’un plumet tricolore.

— Avez-vous un convoi pour Lachèze, capitaine ? lui cria de loin le docteur.

— Je me rends moi-même demain à Loudéac avec un fort détachement, répondit l’officier.

Launay me prit par la main.

— Alors vous m’emmènerez ce garçon ?

— Volontiers, reprit Rigaud en me saluant ; mais nous partirons avant le jour.

— Baptiste se tiendra pour averti ; seulement, rappelez-vous que vous me répondez de lui, et n’allez pas me dire à votre retour, comme ce feuillantiste de Caïn, que je ne vous l’avais point donné à garder.

— Ce que nous gardons le mieux n’est pas toujours à l’abri, répliqua le capitaine ; personne ne peut répondre de personne par le temps qui court : carpe diem quam minimùm credula postero.

Launay se tourna vers moi.

— Je t’avertis, dit-il, que Rigaud a fait ses classes, qu’il déjeune de Cicéron, dîne de Virgile, soupe d’Horace, et qu’il parle latin comme un professeur de seconde ; ce qui ne laisse pas de lui être singulièrement utile pour une guerre contre des Bas-Bretons.

— Plus utile que vous ne croyez, dit le capitaine, car je trouve