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ramenant les couvertures sur mes oreilles, espérant me rendormir ; mais les voix s’élevaient de plus en plus, mêlées à un cliquetis de verres et à des rires bruyans. La porte du lit que j’avais fermée m’empêchait d’apercevoir les visiteurs importuns qui venaient ainsi troubler mon sommeil. Je me soulevai sur le coude avec un murmure de mauvaise humeur, et j’approchai mes yeux de l’une des ouvertures en trèfle percées à mon chevet. À peine eus-je jeté vers le foyer un regard à moitié endormi, que je me redressai épouvanté. Quatre chouans, portant la cocarde noire, étaient assis devant la table, leurs fusils entre les genoux. L’un d’eux tenait à la main des papiers qu’il parcourait. Au bruit que fit l’aubergiste en apportant un nouveau pichet de cidre, il leva la tête, et je reconnus maître Claude Floville, le maquignon d’Uzel.

— Avez-vous la liste de Meslin et de Brehan, commandant ? demanda un des chouans, reconnaissable à son chapeau de feutre surmonté d’un panache vert.

— Je les tiens, répondit-il.

— Et combien de nouveaux enrôlemens ?

— Voici.

Et il les lut à demi-voix.

— Enrôlés depuis le huit, au prix de deux livres par jour avec promesse de trois livres dès l’entrée en campagne : Chasse-Bleus, la Bécasse, la Volonté, Fleur-de-Chêne, Marche-à-Terre, Commode, l’Amoureux.

— Trop peu, dit d’un ton bref et saccadé un troisième chouan au visage bourgeonné et aux yeux cachés par d’épais sourcils ; il faut que toutes les paroisses se lèvent comme en Vendée ; tuez les bœufs des retardataires, et allumez une botte de foin sous leurs toits, tous marcheront.

— Oui, dit Floville ; mais aussi, à la première rencontre, tous jetteront là leurs fusils pour prendre en main leurs sabots.

— Vous n’avez aucune nouvelle d’Obéissant[1] ? demanda le quatrième interlocuteur, qu’à sa voix frêle et à son parler nonchalant il était facile de reconnaître pour un gentilhomme étranger au pays, et plus accoutumé aux causeries de salon qu’aux commandemens en plein air.

Serviteur et Coco en ont reçu, répondit le maquignon.

— Eh bien !

  1. Nom de guerre donné par les royalistes à Cormantin.