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cherchait les moyens de traiter d’une suspension d’armes nécessaire aux insurgés pour s’organiser.

Nous trouvâmes dans le cimetière, au milieu du village, une vingtaine de chouans qui nous attendaient. À notre approche, ils portèrent la main à leurs chapeaux, entourés pour la plupart de médailles, de chapelets bénits et d’images de saints. Mon compagnon appela l’un d’eux par le nom de Fleur-d’Épine, et l’entretint quelque temps à l’écart. Il fit ensuite un signe ; tous les paysans prirent leurs fusils, dont ils avaient enveloppé la batterie dans un mouchoir pour la garantir de la rosée de la nuit, et nous nous dirigeâmes, à travers champs, vers la forêt de la Prenessaye. Boishardy marchait en tête avec moi, et les chouans suivaient sans ordre, à quelques pas l’un de l’autre, le fusil sous l’aisselle, et dans un profond silence. Trois d’entre eux étaient partis en avant, la houe sur l’épaule, comme des gens qui se rendent au travail. Nous allions atteindre la route conduisant de Saint-Méen à Loudéac, lorsqu’un sifflement aigu et cadencé se fit entendre. La troupe s’arrêta brusquement et prêta l’oreille ; le même sifflement retentit de nouveau, mais avec des modulations différentes.

— C’est un convoi, dit Boishardy rapidement ; à votre poste, mes gars.

L’ordre donné à demi-voix circula de proche en proche ; les chouans se glissèrent silencieusement le long des haies qui bordaient la route, s’accroupirent, et disparurent comme par enchantement. J’étais demeuré seul, assez embarrassé de ma position, et fort inquiet de ce qui allait se passer. Je courus vers une ouverture de la haie ; de l’autre côté du chemin se trouvait celui des éclaireurs dont le sifflet nous avait avertis. Il paraissait sérieusement occupé à réparer une brèche faite au fossé. Du côté de Saint-Méen s’avançait le convoi annoncé, au milieu de tourbillons de poussière. C’était un troupeau de bœufs conduit par quelques soldats du bataillon de la Côte-d’Or, récemment arrivé en Bretagne. Ils marchaient sans défiance, le fusil sur l’épaule, riant, causant haut et chantant. La tête du convoi allait passer devant le champ occupé par les troupes de Boishardy, lorsque je sentis la main de ce dernier se poser sur mon épaule. Je me détournai vivement.

— Au nom du ciel ! n’attaquez point, m’écriai-je ; songez au motif qui nous conduit à la Prenessaye ; ne rendez pas un rapprochement plus difficile par de nouveaux meurtres.

— Mes gars ont ordre de ne point tirer, répondit-il ; mais attention, les voici qui mettent leurs museaux hors du terrier.