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LA CHOUANNERIE EN BRETAGNE.

Les chouans venaient de s’élancer brusquement sur la route, et avant que les soldats eussent pu se mettre en défense, ils furent entourés, saisis et désarmés. On conduisit à Boishardy le sous-officier qui commandait l’escorte.

— La république te doit des remerciemens pour ta manière de surveiller ses convois, dit le chouan en riant ; tu marches en pays ennemi comme si tu allais au cabaret.

— C’est vrai, dit le soldat d’un ton de mauvaise humeur, mais j’arrive du Rhin, et je n’entends rien à votre guerre de brigands.

— On t’a pourtant averti, je pense, que nous ne faisions point de prisonniers ?

— Oui.

— Alors, tu sais…

— Je sais que vous êtes des sauvages qui mangez du patriote à vos quatre repas, et qu’aujourd’hui vous allez vous régaler…

— Nous épargnons ceux qui passent dans nos rangs, observa Boishardy.

Le sergent le regarda de côté, haussa les épaules, et se mit à siffler l’air de la Carmagnole.

— Sais-tu que nos soldats reçoivent trois livres par jour, continua le chouan, et que lorsqu’ils auront rétabli la monarchie…

— Tu perds ton temps, l’ancien, assez de conversation, fais-nous fusiller, et que ça finisse.

Boishardy se mordit les lèvres et appela Fleur-d’Épine. Je voulus m’interposer, mais il me fit signe de ne rien craindre. Le paysan s’avança des ciseaux à la main, ordonna au sergent de se décoiffer, et eut bientôt rasé la longue chevelure qui lui tombait sur le cou.

— Est-ce que l’armée royaliste tient une fabrique de faux toupets ? demanda le républicain avec un étonnement ironique.

— L’armée royaliste veut connaître ceux à qui elle fait grace, répliqua Boishardy, car elle ne pardonne qu’une fois, et si tu retombes jamais entre ses mains…

— Compris, dit le sergent avec un geste énergique.

— Ta feuille de route, maintenant.

Il la présenta, et le chouan y écrivit quelques mots au crayon.

— Nos bandes t’arrêteront peut-être, dit-il en la lui rendant ; mais si tu montres ceci, elles te laisseront passer.

— Ainsi je puis continuer mon chemin ? demanda le soldat.

— Tu le peux.

— Avec le convoi ?