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LA CHOUANNERIE EN BRETAGNE.

table servie avec un mélange de luxe et de rusticité qui me frappa. Deux ou trois couverts de vermeil, des porcelaines de Saxe et quelques cristaux émaillés étaient confondus avec les fourchettes de fer, les jattes de hêtre et les poteries vertes du canton. Le chef royaliste m’engagea à prendre place, et pria Mme Catherine de faire les honneurs pendant qu’il donnerait audience.

Son arrivée venait d’être annoncée, et une vingtaine de chouans étaient déjà réunis devant le seuil. Tous portaient les insignes de quelque grade, sauf un seul, dont le costume rappelait à la fois le cloarec et le maître d’école. C’était le percepteur de l’armée. Il entra le premier, tenant sous le bras un portefeuille de cuir noir, et à la main une sacoche de toile bise qu’il déposa devant le chef royaliste.

— Combien as-tu là ? demanda celui-ci.

— Deux cents livres seulement, monsieur le marquis.

— Que dis-tu ? Étienne-le-Bon en devait seul huit cents.

— Comme tous les fermiers de biens nationaux auxquels je demande le prix de leurs fermages, il m’a répondu qu’il avait déjà payé à son nouveau maître.

Boishardy frappa la table du poing.

— Nous seul avons droit de lui donner quittance comme représentant de son légitime maître, s’écria-t-il ; ce qu’il a payé à un usurpateur ne le libère point ; il faut qu’il le sache. — Écris.

Le receveur tira de sa poche une longue écritoire de basane, mit un genou en terre, posa sur l’autre son portefeuille de cuir et leva la tête, comme pour avertir qu’il était prêt ; Boishardy dicta :

« De par la loi de Jésus-Christ crucifié pour toi comme pour moi,

« Nous, chef des armées catholiques,

« Nous demandons à Étienne-le-Bon, de la commune de Pleneuf, pour les fermages des terres et de la métairie appartenant à M. de Rollo, la somme de huit cents livres pour l’année 1794 ; faute de quoi nous entrerons en jouissance immédiatement de tout ce qui lui appartient, et le traiterons comme rebelle. »

Boishardy prit le papier, signa, et le remettant au receveur :

— Tu porteras ceci à Étienne, dit-il, et si dans deux jours les huit cents livres ne sont point soldées, moitié en espèces, j’enverrai Fleur-d’Épine avec ses gens.

Le receveur sortit, et d’autres chouans entrèrent. Tous venaient rendre compte de quelque mission récemment exécutée. Les uns avaient descendu toutes les rivières et tous les ruisseaux, depuis les sources jusqu’à la mer, défendant aux meuniers, sous peine de mort,