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LA CHOUANNERIE EN BRETAGNE.

jeune paysanne dont l’aspect me frappa. Elle avait les pieds nus, les cheveux à demi épars, et pour tout vêtement une jupe courte frangée par les épines. Sa chemise de toile rousse, qu’une épinglette à grains coloriés ne fermait qu’à moitié, laissait voir une partie de ses épaules dorées par le soleil. Elle était haletante, couverte de poussière et de sueur, mais éblouissante de je ne sais quelle beauté sauvage. En l’apercevant, Boishardy se leva d’un bond.

— Jeanne ? s’écria-t-il.

Et regardant autour de lui avec inquiétude :

— Pourquoi as-tu quitté le Gouray ? continua-t-il rapidement et tout bas ; je te l’avais défendu. Que veux-tu ? Que viens-tu faire ici ?

— Vous sauver, maître, répondit la jeune fille.

— Moi

— Les bleus ont été avertis que vous étiez au placis avec un petit nombre de gars.

— Eh bien !

— Ceux de Collinée, de Loudéac et de Montcontour se sont donné rendez-vous ce soir pour entourer la forêt et y mettre le feu.

— Le feu !

— Je l’ai entendu dire à l’un des chefs. Tous les chemins et tous les ponts sont déjà gardés, de peur que vous ne soyez avertis. Pour venir, il m’a fallu gagner le Moulin-Blanc et traverser le Lié sous le feu des postes.

— Ils ont tiré sur toi ! s’écria Boishardy.

— Vingt coups au moins ; mais les touffes d’aulnes et de bouleaux m’ont préservée. J’entendais les balles grésiller dans les feuilles comme la giboulée de mars. Voyez plutôt, maître, c’est une balle qui a coupé ceci au-dessus de ma tête.

À ces mots, la jeune paysanne éleva en riant une branche de saule qu’elle tenait à la main.

— Et tu n’as pas eu peur ? demanda Boishardy.

— Je n’en ai pas eu le temps, je pensais à vous, et j’étais pressée d’arriver.

— Merci, Jeanne, merci, ma louve, dit le chouan en posant affectueusement la main sur l’épaule de la jeune paysanne. Tout son corps s’assouplit et frissonna à ce toucher, et elle leva sur le chef royaliste le regard amoureux du chien qui sent la caresse du maître.

— Il y a si long-temps que vous n’aviez passé par la ferme, dit-elle, et vous m’aviez défendu aussi de paraître au placis ; mais j’avais une raison cette fois… et maintenant… si mon maître voulait… il