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— Eh bien ! Ors’ Anton’, dit le plus âgé des bandits au jeune homme, voilà votre affaire finie. Ordonnance de non lieu. Mes complimens. Je suis fâché que l’avocat ne soit plus dans l’île, pour le voir enrager. Et votre bras ?…

— Dans quinze jours, répondit le jeune homme, on me dit que je pourrai quitter mon écharpe. — Brando, mon brave, je vais partir demain pour l’Italie, et j’ai voulu te dire adieu, ainsi qu’à M. le curé. C’est pourquoi je vous ai priés de venir.

— Vous êtes bien pressé, dit Brandolaccio ; vous êtes acquitté d’hier et vous partez demain.

— On a des affaires, dit gaiement la jeune femme. Messieurs, je vous ai apporté à souper ; mangez, et n’oubliez pas mon ami Brusco.

— Vous gâtez Brusco, mademoiselle Colomba, mais il est reconnaissant. Vous allez voir. Allons, Brusco, dit-il, étendant son fusil horizontalement, saute pour les Barricini ! Le chien demeura immobile, se léchant le museau et regardant son maître. — Saute pour les della Rebbia ! et il sauta deux pieds plus haut qu’il n’était nécessaire.

— Écoutez, mes amis, dit Orso, vous faites un vilain métier ; et s’il ne vous arrive pas de terminer votre carrière sur cette place que nous voyons là-bas[1], le mieux qui vous puisse advenir, c’est de tomber dans un maquis sous la balle d’un gendarme.

— Eh bien ! dit Castriconi, c’est une mort comme une autre, et qui vaut mieux que la fièvre qui vous tue dans un lit, au milieu des larmoiemens plus ou moins sincères de vos héritiers. Quand on a, comme nous, l’habitude du grand air, il n’y a rien de tel que de mourir dans ses souliers, comme disent nos gens de village.

— Je voudrais, poursuivit Orso, vous voir quitter ce pays… et mener une vie plus tranquille. Par exemple, pourquoi n’iriez-vous pas vous établir en Sardaigne, ainsi qu’ont fait plusieurs de vos camarades ? Je pourrais vous en faciliter les moyens.

— En Sardaigne ! s’écria Brandolaccio. Istos Sardos, que le diable les emporte avec leur patois. C’est trop mauvaise compagnie pour nous.

— Il n’y a pas de ressources en Sardaigne, ajouta le théologien. Pour moi, je méprise les Sardes. Pour donner la chasse aux bandits, ils ont une milice à cheval ; cela fait la critique à la fois des bandits et du pays[2]. Fi ! de la Sardaigne. C’est une chose qui m’étonne,

  1. La place où se font les exécutions à Bastia.
  2. Je dois cette observation critique sur la Sardaigne à un ex-bandit de mes amis, et c’est à lui seul qu’en appartient la responsabilité.