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temens contradictoires, M. Broussais n’en suivit aucun. Se croyant en danger, il quitta son lit avec une fièvre brûlante, et s’assit, presque nu, devant son secrétaire pour mettre ordre à ses papiers. C’était au mois de janvier, et les rues de la ville étaient couvertes de glace. Pendant que M. Broussais se livrait à ce périlleux arrangement de ses affaires, les ardeurs de la fièvre s’apaisaient, un sentiment de fraîcheur et de bien-être pénétrait dans tout son corps. Frappé d’un résultat si imprévu, M. Broussais, pour qui tout était objet de réflexion, changea son imprudence en expérience. Devenu téméraire par esprit d’observation, il ouvrit la fenêtre et respira long-temps l’air froid du dehors. Il s’en trouva mieux, et il conclut qu’une boisson rafraîchissante serait aussi salutaire à son estomac brûlant que l’air glacé l’avait été à sa poitrine embrasée, et il s’inonda de limonade. En moins de quarante-huit heures, il était guéri. Ce fait le frappa beaucoup, et resta dans son esprit comme le germe de sa grande réforme.

Dans quel état M. Broussais trouva-t-il la science médicale lorsqu’il entreprit de la réformer ? Cette science avait fait des progrès successifs en vertu de son propre développement, et sous des influences étrangères. Dans les temps anciens, on n’avait presque rien saisi au-delà de la marche générale et extérieure des maladies qui ne pouvaient pas être rattachées à des organes dont on ignorait la véritable structure, les fonctions et les rapports. On connaissait peu ou mal le corps humain, ce chef-d’œuvre de la création divine, cette matière organisée, vivante, sensible, intelligente, qui, sous un si petit espace et avec un tissu en apparence si fragile, lutte victorieusement contre les puissantes forces de la nature physique, se les assimile, et ne tombe sous leur empire destructeur que lorsque le principe qui l’anime fléchit ou succombe ; ce vaste ensemble d’appareils si divers qui pourvoient à la conservation de l’homme et le mettent en relation avec l’univers entier ; cette admirable architecture osseuse si bien combinée pour les soutenir ou les protéger ; ces muscles si ingénieusement appropriés, par leur position et par leur forme, aux mouvemens qu’ils sont destinés à accomplir en vertu d’une mécanique mystérieuse ; ces nerfs doués d’une sensibilité si variée, qui transmettent la connaissance des objets extérieurs à l’intelligence et les impulsions de la volonté ou des instincts conservateurs aux muscles ; ces vaisseaux qui portent la substance réparatrice dans toutes les parties du corps, où, par l’entremise de mille forces diverses, elle subit les transformations les plus merveilleuses et les plus différentes ; ces grands viscères dont l’un fait le sang par une chimie compliquée et