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BROUSSAIS.

tour de l’hypothèse de l’ame. Lui qui reconnaît un souverain auteur à l’univers, lui qui a dit : Je sens qu’une intelligence a tout coordonné, n’aurait-il pas dû apercevoir qu’il est aussi difficile de rejeter l’ame du corps que d’exclure Dieu du monde ; que le corps ne peut pas plus se passer que le monde d’un ordonnateur spirituel qui possède et qui dirige ces nobles facultés à l’aide desquelles nous comprenons les lois des choses et des êtres, nous aimons la justice, nous faisons volontairement le bien, et nous nous élevons jusqu’au sacrifice réfléchi de nous-mêmes ?

L’ouvrage sur l’irritation et la folie, qui engagea M. Broussais dans une polémique mémorable avec les psychologistes, parmi lesquels il rencontra d’habiles adversaires et de redoutables argumentateurs, fut la conséquence la plus extrême et la plus logique du sensualisme ; mais il ne marqua point le terme des travaux de M. Broussais. Cet homme infatigable et hardi ne pouvait ni s’astreindre au repos, ni s’enfermer dans les opinions reçues. Aussi, après avoir épuisé ses propres idées, lui était-il réservé de prendre en main la défense d’une doctrine qui lui était étrangère, à laquelle même il n’avait pas été jusque-là favorable, mais qui avait sans doute à ses yeux le double mérite d’être originale et contestée.

Pendant que M. Broussais concevait, propageait, développait sa doctrine de l’irritation, il s’était formé un système à beaucoup d’égards différent du sien sur le mécanisme et la philosophie du cerveau. Le célèbre et ingénieux docteur Gall ne s’était pas borné à faire de cet organe le siége, l’instrument ou même la cause de la pensée. Doué d’un rare esprit d’observation, il avait cru remarquer que les penchans et les facultés des êtres correspondaient à un certain développement de leur crâne. Il avait pensé que les instincts conservateurs, que les sentimens affectifs, que les besoins moraux et religieux, que les dispositions de l’intelligence résidaient dans des régions particulières du cerveau qui leur étaient respectivement affectées. Procédant à cette distribution graphico-morale du crâne, il avait attaché chacune des facultés qu’il avait observées à un organe spécial, et avait assigné à cet organe une place déterminée par le relief qu’il projetait sur la boîte osseuse dont la forme, suivant lui, était modelée d’après celle du cerveau. Le nombre de ces facultés qui s’est accru depuis, s’élevait d’abord à vingt-huit. Comme pour les saisir dans leurs saillies extérieures, Gall les avait remarquées chez les individus qui les possédaient avec excès ; il avait été amené à leur donner des noms qui