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reine est accueillie en Catalogne par les flots d’une population remplie d’enthousiasme. Le peuple espagnol est toujours profondément monarchique. Nul doute que le voisinage de la cour ne contribue à rallier les partis, à ramener un grand nombre d’hommes égarés. Après beaucoup de conjectures, on paraît croire aujourd’hui que le voyage des deux reines n’a eu réellement d’autre but que le rétablissement de la santé de la reine Isabelle. Quoi qu’il en soit, on se ferait illusion si on croyait qu’une fois Cabrera vaincu et le parti carliste entièrement dissous, les difficultés de l’Espagne s’évanouiront complètement. Loin de là. Le peuple est monarchique et religieux, voire même superstitieux. Il n’est pas moins vrai qu’une partie considérable des classes moyennes, dans les grandes villes surtout, est imbue de nos idées, de nos principes ; et précisément parce que ces idées et ces principes sont trop avancés pour l’Espagne et ne sont pas en harmonie avec l’état général du pays, la minorité qui professe cette politique d’emprunt, impatiente de réaliser ses idées, est toujours tentée de devenir violente et factieuse. On n’est ni impatient ni violent lorsqu’on sait qu’on a le pays derrière soi, lorsqu’on ne doute pas d’un prochain succès. Sous la restauration, Casimir Périer disait aux trois cents de M. de Villèle : « Nous sommes quinze ici, mais nous avons le pays derrière nous ; » aussi Casimir Périer et ses amis ne conspiraient pas ; ils attendaient, et n’attendirent pas long-temps.

Après la dispersion complète de l’insurrection carliste, le parti radical en Espagne deviendra probablement plus exigeant et de plus en plus violent. Le gouvernement aura besoin de fermeté, d’habileté, de mesure. Qu’il se garde surtout de mépriser ses adversaires. Les minorités ont si souvent bouleversé et gouverné le monde !

M. Cousin poursuit le cours de ses paisibles réformes dans le domaine de l’enseignement.

Une ordonnance royale vient de créer à la Faculté de Droit de Paris une chaire d’introduction générale à l’étude du droit. C’était une lacune qu’il importait de combler. Ainsi que l’a dit le ministre dans son rapport au roi, ce cours préliminaire aura pour objet d’orienter, en quelque sorte, les jeunes étudians dans le labyrinthe de la jurisprudence.

Il a été aussi décidé qu’à l’avenir, soit dans les examens, soit dans les concours devant les facultés de droit, il n’y aura plus ni argumentations ni leçons latines. Nous félicitons M. le ministre de l’instruction publique d’avoir mis fin à un usage qui n’était qu’un moyen de dissimuler l’ignorance et de paralyser le savoir.


Le drame de la Maréchale d’Ancre, représenté il y a neuf ans à l’Odéon, vient d’être repris par la Comédie-Française. On a pu remarquer dans cette œuvre, dont la mise en scène révèle un zèle louable, toutes les hautes et rares qualités qui distinguent le talent de M. Alfred de Vigny. Bien qu’une tendance instinctive semble entraîner l’auteur d’Éloa vers la contemplation et l’élégie, c’est avec une supériorité réelle, il faut le reconnaître, qu’il a essayé,