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Cabrera en fit autant. De part et d’autre, cette disposition était une faute ; mais le tort était grand surtout du côté de Cabrera, qui, ayant moins de forces que son adversaire, s’exposait à être débordé à droite et à gauche, et attaqué sur les deux flancs en même temps que de front. Selon toutes les apparences, sa division devait être détruite ; ce fut celle de Pardiñas qui le fut entièrement.

Le combat s’engagea avec acharnement. Les soldats christinos se battaient avec l’énergie que donne le désir de venger un échec, les carlistes avec cette confiance qui naît de l’habitude de la victoire. Au bout de deux heures de feu, les troupes de Cabrera durent céder devant des forces supérieures ; l’aile gauche commença à plier, et le mouvement de retraite ne tarda pas à se propager sur toute la ligne. Cabrera furieux s’élance en avant. « Lâches ! s’écrie-t-il, vous m’abandonnez ; eh bien ! je saurai mourir seul au milieu de l’ennemi. — Non pas seul, mon général, lui répond le colonel d’un escadron aragonais qui soutenait la retraite, mais avec vos Aragonais ! » À ces mots, le colonel fait volte-face, et son escadron se précipite avec tant de rage sur l’aile gauche de l’ennemi, qu’il la disperse en un clin d’œil.

Le brave Pardiñas, voyant le désordre se mettre dans cette partie de ses troupes, se porte aussitôt sur le lieu du danger, à la tête de son état-major. En le voyant venir, le colonel aragonais court à lui et lui porte à la gorge un coup de lance qui le renverse mort. En même temps, l’état-major, assailli par la cavalerie carliste, tourne bride. Cabrera, qui était parvenu à rallier les fuyards, arrive avec toutes ses forces, mais sa présence n’était déjà plus nécessaire. En apprenant la mort de leur malheureux général, les soldats de Pardiñas s’étaient assis par terre, levant leurs fusils la crosse en l’air, et criant qu’ils se rendaient. On les fit tous prisonniers ; ils étaient cinq mille, le reste avait été tué. De cette belle division, il ne se sauva en tout qu’une quarantaine de cavaliers.

Ainsi s’est passée cette fameuse affaire de Maella, la plus désastreuse pour les christinos de toutes celles qui ont eu lieu pendant cette guerre. Le général Pardiñas, qui y périt, était un des meilleurs officiers de l’armée constitutionnelle ; issu d’une des plus nobles familles de Galice, il avait embrassé par goût l’état militaire ; nommé député aux cortès de 1837, il avait volontairement quitté les bancs de la chambre pour les rudes travaux de l’armée. Il était âgé de trente cinq ans quand il mourut. Cette action a été racontée autrement dans le temps par les journaux espagnols ; mais ce que nous venons de dire est la vérité, telle qu’elle nous a été attestée par des témoins ocu-