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général O’Donnell l’a attaquée à la Cenia, Cabrera est sorti de son lit pour reparaître encore une fois sur le champ de bataille ; il s’est comporté bravement, et a eu son cheval tué sous lui. Ce n’était là qu’un adieu : cette action, où périt le frère d’O’Donnell, a été la dernière. Depuis long-temps, Cabrera voyait qu’il ne pouvait plus tenir ; il n’a plus songé dès-lors qu’à se réfugier en France. Il a passé près de trois semaines à Berga, où il a fait commencer, sans le finir, le procès des assassins du comte d’Espagne ; puis, quand l’armée d’Espartero s’est approchée de ce dernier rempart de la faction en Espagne, il s’est remis en marche pour la frontière.

Il a commencé par envoyer devant lui ses deux sœurs, qu’il paraît aimer beaucoup. Ces deux jeunes femmes, dont l’une a dix-sept ans et l’autre quinze, sont entrées en France à la fin de juin, accompagnées de la femme de l’intendant militaire carliste Labandero ; on les a trouvées nanties d’une somme de cinquante mille francs en or. L’une est la femme de Polo, l’autre devait épouser un autre aide-de-camp de Cabrera, nommé Arnau. Le gouvernement leur a assigné pour résidence la ville de Bourg, département de l’Ain, où elles s’occupent, dit-on, à cultiver des fleurs.

Un nouvel adversaire est venu enfin consommer le désastre de Cabrera, en y assistant : ce dernier vainqueur n’est rien moins que la reine Isabelle elle-même. Partie de sa capitale, pour venir prendre les eaux à Barcelone, elle a traversé hardiment les contrées qui tremblaient naguère devant le comte de Morella. L’ascendant de la royauté est si grand en Espagne, que la présence de cette jeune fille faible et maladive a plus fait qu’une armée pour la pacification du pays. Les troupes factieuses qui ont voulu s’opposer à son passage, ont été écrasées ; les cris d’enthousiasme et d’amour qui l’ont accueillie dans les villes, ont retenti dans les campagnes en armes, et ses plus terribles ennemis ont disparu devant la poussière que soulevait la roue rapide de sa voiture. Le 30 juin, elle est entrée à Barcelone au milieu des fêtes ; quatre jours après, le 4 juillet, Berga était pris par Espartero, et le 6, à cinq heures du matin, Cabrera se réfugiait en France, avec 10,000 hommes.

Il n’y avait sur la frontière que deux cents soldats français, quand toute cette armée s’est présentée. Les christinos ne la suivaient pas, et on ne tirait pas un coup de fusil. Une dernière discussion s’est engagée sur le territoire français entre ceux qui voulaient entrer et ceux qui ne le voulaient pas. Les gendarmes s’étant saisis de Cabrera, au milieu même de ses troupes, son beau-frère Polo lui a offert de