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CABRERA.

armée. La terreur avait raffermi les résolutions chancelantes. Aidé des conseils du baron de Raden, ancien lieutenant-colonel d’artillerie au service de Hollande, qui avait défendu Anvers contre les Français, il avait ajouté encore aux fortifications qui devaient rendre ses positions imprenables. Chaque défilé, chaque pointe de rocher était couvert de retranchemens. Un demi-cercle de châteaux-forts, dont les plus redoutables étaient Morella et Cantavieja, hérissait les montagnes. Dernier débris de l’armée de Navarre, le général Balmaseda était venu le rejoindre avec cinq cents chevaux. La mort tragique du comte d’Espagne, immolé sur un premier soupçon de transaction, avait achevé de lui donner confiance et sécurité, en lui assurant l’appui de l’armée carliste de Catalogne.

De son côté, Espartero, vainqueur de don Carlos et pacificateur des provinces du nord, s’avançait avec soixante-dix mille hommes et soixante-dix pièces de canon. Il avait amené avec lui l’ancien chef carliste aragonais Cabanero, qui venait d’embrasser la cause de la reine, et qui adressa une proclamation à ses compatriotes pour les engager à l’imiter. Mais cette proclamation n’eut aucun écho, Cabrera y avait mis bon ordre d’avance. L’hiver survint alors, les montagnes du Maestrazgo se couvrirent de neige, les défiles devinrent impraticables. Par un dernier hommage à la réputation militaire de Cabrera, Espartero s’arrêta. Il plaça son quartier-général à Las-Matas, au centre du demi-cercle que formaient les châteaux fortifiés de l’ennemi, à une lieue seulement de l’un d’eux, Castellote. Là, il se fortifia à son tour, fit ouvrir des routes pour ses convois, établit des hôpitaux pour ses malades, des magasins pour ses munitions, et attendit patiemment le retour du beau temps.

La conduite de Cabrera dans les derniers momens qui ont précédé sa chute sera fort diversement jugée. Lui-même attribue sa prompte défaite à sa maladie ; d’autres diront qu’amolli par deux ans de pouvoir, il a manqué d’énergie ; d’autres enfin, qu’il a toujours été au-dessous de sa fortune, et que sa faiblesse a paru dès qu’il n’a plus été protégé par le hasard. Ces trois explications sont sans doute également vraies. Sa maladie n’a été que le signe de son affaissement sous l’excès de sa prospérité, et il y a eu dans son mal quelque chose de celui de Mazaniello. On a peine à comprendre, en le voyant, que la destinée ait pu le choisir, lui si jeune et si chétif en apparence, pour le mettre à la tête d’une des plus terribles insurrections de lazzaroni que l’histoire ait jamais vues, et pour soumettre à ses moindres volontés ces forts Aragonais que rien n’avait pu encore subjuguer.