Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 23.djvu/278

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
274
REVUE DES DEUX MONDES.

lève la grille de la cage dans laquelle rugissent des lions prêts à s’élancer sur les victimes. Le torse de ce bourreau eût fait honneur à Canova.

Puisque nous venons de prononcer encore une fois le nom de ce roi des statuaires modernes, nous nous permettrons de dire ici que son influence se fait beaucoup trop sentir chez tous les sculpteurs italiens de l’époque actuelle, même chez ceux qui se placent au premier rang. Bartolini et Tenerani ont tous deux un talent prodigieux, tous deux paraissent avoir fait connaissance avec la nature ; mais ce n’est pas toujours chez elle, c’est plutôt en visite dans l’atelier de Canova, qu’ils semblent l’avoir rencontrée.

On nous a montré, dans l’une des salles du musée de sculpture de la villa Médicis, un admirable torse, provenant du fronton du Parthénon et attribué à Phidias, que M. Ingres a fait mouler. La chair de ce torse est palpitante ; les muscles, modelés par grands méplats, paraissent mobiles et se relient aux attaches avec une grandeur et une souplesse infinies. Près de ce fragment, nous avons vu la statue à demi drapée d’une femme couchée, moulée comme ce torse sur le marbre enlevé au même fronton. Quelle morbidesse singulière dans ces chairs souples et ondoyantes ! quelle admirable vérité dans ce sein qui se rassied ! quelle précision et en même temps quelle largeur dans ces plis de la robe si achevés et qui cependant ne devaient être vus que d’une distance de cinquante pieds ! Ce sont ces précieux morceaux et les marbres grecs, statues et bas-reliefs, de la villa Albani que l’école sculpturale moderne devrait surtout étudier. M. Bartolini et Tenerani sortent de ligne, il est vrai, mais ils ne paraissent pas cependant s’être assez pénétrés de ces chefs-d’œuvre, d’une bien autre excellence que les productions de la statuaire moderne. Les succès récens et la gloire encore présente de Canova ont trop d’influence sur leur manière de sentir et d’exprimer, trop d’empire sur leur volonté. C’est un joug qu’ils auront peut-être peine à secouer, car, pour l’un et l’autre, il est déjà un peu tard.

Ces réflexions sont surtout applicables aux grands ouvrages de Tenerani. Le Saint Jean colossal qu’il achève pour une église de Naples[1] n’est-il pas d’un style trop calme ? Et quoique l’ensemble de la statue ne manque pas de noblesse, cette majesté n’est-elle pas

  1. L’église de Saint-François-de-Paule, cette misérable imitation de Saint-Pierre de Rome, que le feu roi a fait construire sur la place du palais. C’est là, dit-on, que sont placées les meilleures statues napolitaines modernes, et cet échantillon donne