Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 23.djvu/290

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
286
REVUE DES DEUX MONDES.

et qui bientôt le placèrent au premier rang. Il fut nommé chevalier, sénéchal du comté de Cornouailles, grand-écuyer et capitaine des gardes. Ses attentions ne se relâchaient pas ; il éclipsait par la splendeur de ses habits et la grace de sa tournure tous les courtisans qui l’environnaient, et passait pour le plus complet gentilhomme, the compleatest gentleman, dit Hakluyt, de cette époque brillante. Les regards du peuple s’arrêtaient émerveillés sur sa cuirasse d’argent ciselé, sur ses brassards et ses cuissards d’argent damasquinés, qui étincelaient auprès de la reine, lorsqu’il l’escortait en qualité de capitaine des gardes. Il était pauvre. Élisabeth lui donna douze mille acres de terre confisquées sur les ducs de Nesmond, et le monopole des vins ; c’était l’élever à l’opulence.

Toutes les carrières de l’ambition étaient ouvertes à Raleigh, et, par une rare coïncidence, il avait la capacité comme l’ardeur des succès les plus divers. Nous venons de voir jusqu’où l’avait conduit cette témérité persévérante qui marqua le cours de sa vie. Il peut devenir homme d’état, guerrier, marin, orateur. Il sera tout cela.

Il sera plus encore. Fonder un empire, trouver un monde, ne serait-ce pas mieux ? Éclipser Christophe Colomb, l’emporter sur Fernand Cortez et Pizarre, à la cour augmenter sa faveur, auprès du peuple accroître son crédit, redire ses prouesses à la postérité, à l’exemple de César, quelle perspective ! Tous les jours on entendait parler de Drake, de Cavendish, de Forbisher. Les navires déployaient chaque jour leurs voiles, et revenaient chargés de trésors ou riches de découvertes. C’était le moment, toujours magnifique dans la vie des nations, où le sang bouillant de l’adolescence gonfle leurs veines, où le penchant de leur grandeur spéciale se révèle par une sorte d’ivresse, et annonce leur destinée. Élisabeth, que nous avons montrée tout à l’heure aussi faible que la dernière de ses sujettes, et à laquelle nous avons arraché son masque historique, fut un roi de génie qui sympathisa hautement, noblement, activement, avec ce mouvement civilisateur, père de trois cents ans de gloire.

Ainsi que Cromwell, elle le précipita par tous les actes de son règne. Elle attachait de sa main l’or et les perles à la poitrine de ses marins ; elle les comblait de titres, d’honneurs, de richesses, d’éloges. Elle donnait même, elle si avare, un peu d’argent de sa bourse royale pour les encourager à ces entreprises. Aussi l’élan maritime de cette époque a-t-il quelque chose de romanesque, de poétique et d’idéal qui séduit et entraîne la pensée. Un seul vaisseau anglais attaque huit vaisseaux ennemis. Une petite troupe de deux