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WALTER RALEIGH.

cents hommes va ruiner et réduire en cendres une ville de douze mille ames. Un vaisseau anglais, ayant fait une riche capture, regagne le port voiles déployées, et ces voiles sont de soie pourpre, les cordages de fil d’argent, les menus agrès de fil d’or. Un frère utérin de Raleigh, Humphrey Gilbert, avait depuis long-temps rêvé l’une des plus belles entreprises que l’on pût alors concevoir, la colonisation de la Virginie, qui ne portait pas alors ce nom. Idée à la fois grande, praticable et féconde, qui nous a donné la pomme de terre et le tabac ; elle appartient à ce frère utérin, comme l’avouent et M. Tytler et la Revue d’Édimbourg, si ardens toutefois à faire passer sur la tête de Walter Raleigh l’honneur des entreprises contemporaines. Ce qui est certain, c’est que, faute de ressources, le premier plan de sir Humphrey avait échoué, qu’il voulut mettre à profit la faveur nouvelle et inattendue de son frère Walter, et que ce dernier, non content de lui prêter secours, s’empara du crédit et de la renommée dus à Humphrey Gilbert. Ajoutons qu’il resta paisible à la cour pendant que son frère, armé d’une patente de la reine, concédée à sir Walter, courait les mers, essayait de transplanter dans les savanes de l’Amérique une colonie rebelle, et luttait à la fois contre les sauvages indigènes et contre son propre équipage. Ce brave homme mourut à la peine. Son frère Walter vendit sa patente à une compagnie de négocians, qui laissa languir pendant le reste du règne d’Élisabeth la colonisation virginienne.

La Revue d’Édimbourg prouve que Raleigh essaya de secourir et de sauver les débris de ces malheureux colons, jetés cruellement par leurs concitoyens au milieu des anthropophages, et qui finirent par être massacrés. Mais ce n’était point assez de leur prêter secours. Raleigh, colonisateur, devait un autre genre de sacrifice à la gloire qu’il affectait. L’abandon violent du projet, auquel tenait la vie des colons, prouvait une légèreté féroce et égoïste, dont la Revue d’Édimbourg essaie en vain de faire un héroïsme éclatant. Quoi ! Walter Raleigh commence par dérober à son frère, victime de l’expédition, l’honneur de ce projet ; il ne court aucun risque lui-même ; il excite Gilbert à l’accomplissement d’un exploit difficile, dont lui, homme de cour, va recueillir les fruits les plus lucratifs ; il passe dans le monde et dans l’avenir pour le créateur de l’entreprise ; il se contente d’obtenir de la reine sa maîtresse « une petite ancre d’or » pour son frère Gilbert ; il lui donne cette petite ancre d’or, que le pauvre Gilbert suspend à son cou, et lorsque Gilbert est mort, dévoré par la tempête, lorsqu’on lui apprend que deux