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WALTER RALEIGH.

prenant Arundel à témoin de la promesse qu’il lui avait donnée de revenir en Angleterre, quelle que fût l’issue de son entreprise. Ce fait fut solennellement attesté par le comte, qui se trouvait près de lui. Il parut péniblement affecté du reproche qui lui avait été souvent adressé, d’avoir ri pendant l’exécution du comte d’Essex ; « au contraire, dit-il, j’ai versé des larmes amères en voyant l’échafaud du comte, cela m’a fait prévoir mon propre sort. Tous ceux qui m’avaient aimé du vivant d’Essex se sont détournés de moi après sa mort. » Il avoua que sa maladie était une feinte, qu’il avait trompé ainsi ses gardiens, et que son but avait été d’exciter la commisération, et de gagner du temps pour se sauver. Il reconnut que cette ruse était une faute, et il en demanda pardon ; mais il s’écria d’une voix ferme que sa mort était l’ouvrage de l’Espagne.

« De là, il passa à des considérations plus sévères ; il pria avec ferveur, puis déclara à tous les assistans que ses péchés étaient grands et nombreux. « J’ai marché dans la route de l’orgueil, ayant été successivement, et souvent à la fois, homme de cour, soldat, capitaine, amiral, général et marin, tous états où les vices abondent. »


Il finit par ces mots : « Je prends congé de vous, faisant ma paix avec Dieu. » Puis, il saisit la hache, en examina le tranchant, et dit : « Le remède est sévère, mais il guérit tous les maux. » Et alors il salua amicalement le bourreau, lui pardonna, et le pria de frapper, à un signal donné, vite et juste.

« Après avoir levé une dernière fois vers le ciel un regard humble, mais serein, il pria de nouveau, ce qui émut au dernier point les spectateurs, et recommanda son ame à Dieu. Comme il avait déjà posé le cou sur le billot, un des assistans demanda qu’on plaçât son corps de manière à ce qu’il regardât l’est. Raleigh, que même dans ce moment son humeur gasconne n’avait pas abandonné, releva la tête et dit à cet homme : « Mon ami, mon ame fera le voyage, que mon corps soit placé vers l’est ou vers l’ouest. » Cependant il se conforma à ce désir. Lorsque la tête fut tombée, le bourreau la montra au peuple, en se taisant contre les usages, et sans dire : « Dieu conserve le roi ! » — Le bourreau était muet. —


Tel fut le dénouement de cette vie extraordinaire qui a embarrassé les biographes. Raleigh a été aussi loin dans la route de la grandeur humaine, que l’audace, la souplesse et le génie peuvent porter un homme qui préfère la gloire aux principes.