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c’était une fermeté négative qui s’épuisait surtout à combattre les conseils audacieux et à faire triompher les idées de prudence et de modération.

Il n’avait point été élevé dans les camps : né dans une époque de paix, il était convaincu que la meilleure politique pour son pays était de conserver intact l’héritage du grand Frédéric en évitant toute conflagration qui pourrait le compromettre. C’était avant tout un homme de mœurs douces et pacifiques qui n’ambitionnait rien de ce que donne la guerre, peut-être parce que, ne sachant pas la faire, il craignait de dépendre de ses généraux. Sa passion était de rester neutre au milieu des petits états groupés autour de lui, et si, dans l’innocent exercice de ce protectorat, il pouvait réussir à gagner quelque chose par des opérations de cabinet, sans bruit et sans mouvement, il était bien décidé à n’en pas laisser échapper l’occasion. Hors de là, tout l’effrayait. Les traditions du cabinet lui avaient appris à regarder la France comme la puissance sur laquelle il devait particulièrement s’appuyer. La révolution qui s’était faite dans ce pays n’avait soulevé ni ses haines ni ses craintes. Il la jugeait froidement, sans préjugés, avec la modération et l’impartialité de jugement qu’il portait en toutes choses, gémissant sur ses excès, flétrissant les crimes commis en son nom, mais approuvant une grande partie des améliorations qu’elle avait introduites dans l’état civil des Français, et disposé à en faire lui-même l’application à la Prusse. « Vous n’avez contre vous que les nobles, disait avec un peu d’exagération et de flatterie un de ses ministres au représentant de la république française, M. Otto, peu de mois après son avénement au trône ; le roi et le peuple sont ouvertement pour la France. La révolution que vous avez faite de bas en haut se fera lentement en Prusse de haut en bas. Le roi est démocrate à sa manière : il travaille sans relâche à réduire les priviléges de la noblesse. Il suivra à cet égard le plan de Joseph II, mais par des moyens lents. Sous peu d’années, il n’y aura plus de priviléges féodaux en Prusse. »

S’il entrait dans ses principes de vivre en bonne harmonie avec la France, sans former toutefois avec elle des liaisons trop intimes, il n’avait pas moins à cœur d’éviter tout ce qui pouvait blesser la Russie. La Prusse, monarchie pour ainsi dire toute neuve, n’a pas encore eu le temps de pourvoir, sur toute sa ligne de frontières, à la sécurité de son territoire. Ses places fortes font presque toutes face à l’Autriche. Son système de défense n’a pas été poussé plus loin sous le grand Frédéric, parce que le plan de ce prince était de s’étendre sur la Vis-