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quelque sorte équilibre. La mauvaise foi de la Russie dans la guerre de 1809, le traité de Vienne, qui enleva à l’Autriche trois millions six cent mille ames et qui accrut de deux millions le duché de Varsovie malgré les instances de l’empereur Alexandre, rompirent toute harmonie et tout équilibre entre les deux empires, et rendirent une nouvelle lutte entre eux inévitable. La Prusse, placée entre ces deux colosses, ne pouvait rester neutre ; elle n’avait pas non plus la liberté de choisir son allié. Elle ne s’appartenait plus ; elle était la vassale de la France, qui l’avait subjuguée. Si elle avait hésité un moment, elle était perdue, Napoléon marchait sur elle et l’écrasait. Poursuivi par une logique impitoyable, il fut un moment tenté d’anéantir cette monarchie, qui, s’il était vaincu dans sa lutte contre le Nord, pourrait lui fermer sa retraite. La loyauté du roi, l’abnégation avec laquelle il se livra à lui tout entier, le désarmèrent, et la Prusse fut sauvée. Vingt mille Prussiens marchèrent sous nos drapeaux contre les Russes, et se conduisirent sur les champs de bataille en gens d’honneur ; mais lorsque le froid et la disette eurent détruit la plus belle armée des temps modernes, les masques tombèrent, les haines contenues se déchaînèrent, Prussiens et Français se retrouvèrent ennemis. La défection du général York (30 décembre 1812) devint le signal du soulèvement de toute l’Allemagne. La conduite de Frédéric-Guillaume dans ce moment critique n’a pas été jugée comme elle mérite de l’être. Non-seulement il fut étranger à la défection du général York, mais son premier mouvement fut de le désavouer et d’ordonner sa mise en jugement. La terreur que lui inspirait encore la puissance de Napoléon n’était pas la seule cause qui le retenait dans son système ; il était lié à sa politique par des traités, et sa conscience honnête répugnait à passer brusquement, sans ménagemens, du camp français dans celui de la Russie. Il se croyait tenu personnellement à des égards envers l’empereur. Si sa monarchie était debout, s’il régnait encore, il ne le devait qu’à ses protestations réitérées de fidélité. Ce n’est qu’en portant dans l’esprit de Napoléon la conviction qu’il avait affaire à un homme loyal dont le malheur n’avait point dégradé l’ame, que le chef de la France s’était décidé, en 1812, à l’accepter pour allié au lieu de le détrôner. Maintenant que la fortune avait trahi ses armes, et que la main de l’adversité commençait à s’étendre sur lui, fallait-il l’abandonner et le faire repentir d’avoir cru aux sermens du roi de Prusse ? Il y avait dans la manière de sentir de Frédéric-Guillaume une délicatesse qui ne lui permettait pas de se mettre à la tête du mouvement de l’Alle-