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dans des articles de journal, dans des lettres et jusque dans les moindres fragmens, les fondemens des plus belles découvertes. D’Alembert, qui s’est montré si méthodique dans d’autres travaux, rédigeait avec si peu d’ordre et de clarté ses recherches mathématiques, que les plus importans de ses ouvrages sont presque illisibles aujourd’hui. Euler, si fécond, si inventif, ne semblait voir dans les applications qu’un moyen d’employer l’analyse et de la faire avancer, tandis que Daniel Bernoulli ménageait les calculs et savait suppléer par les considérations les plus ingénieuses à l’impuissance de la géométrie. Lagrange, qu’on a surnommé le Racine des mathématiques, ne se contentait pas d’avoir fait une découverte ; il voulait donner à son analyse la forme la plus élégante, il s’efforçait de la généraliser et de l’exposer de la manière la plus simple[1]. Laplace, qui a tant fait pour achever l’édifice dont Newton a posé les fondemens, ne voyait dans l’analyse qu’un moyen d’arriver à des résultats importans, et ne s’appliquait guère à aplanir la route qui devait le conduire au but. Fourier, auquel on doit tant de vérités nouvelles, avait peut-être plus d’invention dans l’esprit que de critique et de rigueur dans les démonstrations. Quant à M. Poisson, si vous me demandiez, monsieur, quel était le caractère de son esprit, je vous dirais qu’à mon avis cet illustre géomètre, doué d’une sagacité et d’une pénétration incomparables, était né surtout pour perfectionner ce qu’avaient fait ses devanciers et pour surmonter les difficultés qui les avaient arrêtés. Sans rappeler sa mémorable découverte sur la stabilité du système planétaire, cette disposition de son esprit se remarque dans ses recherches sur le mouvement des surfaces élastiques, qu’il avait entreprises à l’occasion des travaux analogues de Mlle Germain, et dans sa Nouvelle Théorie de l’action capillaire, où, en introduisant la considération de la variation de densité que le liquide éprouve à la surface, il a complété d’une manière si heureuse les recherches de Laplace ; elle se retrouve surtout dans sa Théorie de la Chaleur, ouvrage destiné à établir sur les véritables principes de la constitution moléculaire des corps cette nouvelle branche de la physique mathématique,

  1. Malgré son génie, ce n’est que par le travail le plus opiniâtre que Lagrange parvenait à ces formules symétriques, à cette rédaction simple et élégante que l’on admire tant. La collection de ses manuscrits existe à l’Institut, et l’on y trouve la preuve qu’après avoir résolu une question et rédigé sa solution, cet illustre géomètre ne cessait de corriger et de copier son écrit jusqu’à ce qu’il fût arrivé à l’expression la plus simple et la plus claire de sa pensée. Il y a tel mémoire dont il a fait six copies successives en les corrigeant