Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 23.djvu/435

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
431
LES SCIENCES EN FRANCE.

et à éclaircir ou à démontrer rigoureusement ce que les travaux de Fourier pouvaient présenter encore d’obscur et d’incertain. Personne assurément n’osera dire que M. Poisson manquât d’invention ; mais il aimait principalement les questions déjà traitées par d’autres et qu’ils n’avaient pu résoudre, ou dans lesquelles il restait encore quelque chose à faire. Il savait même se servir avec un art infini des considérations déjà employées et en déduire de nouveaux et importans résultats. Perfectionner ainsi, c’est inventer, et l’on sait que rien n’est plus difficile dans les sciences que de tirer d’une idée des conséquences que n’avait pas prévues le premier inventeur. Ce même esprit de critique, qui lui permettait de saisir les défauts des autres et de les corriger, le portait à se critiquer sévèrement lui-même et à ne produire que des ouvrages irréprochables. On ne trouvera jamais un homme qui sache mieux que M. Poisson appliquer l’analyse à la recherche des forces qui agissent sur les corps naturels. Entre ses mains, la mécanique moléculaire était devenue une science nouvelle, et je crois que c’est surtout pour la mécanique céleste et la physique mathématique[1] que la perte de M. Poisson est regrettable. Il avait pour les travaux de ce genre une prédilection marquée, que quelques personnes ont pu même croire excessive, car il semble qu’on doive laisser aux géomètres le champ libre et leur demander des découvertes et des vérités nouvelles dans une branche quelconque des mathématiques sans exiger immédiatement des applications. Cependant, malgré ses préférences, il ne cessa jamais de suivre les progrès de l’analyse pure, et l’on put s’en convaincre lorsqu’il présenta à l’Institut ce beau rapport, que tous les géomètres connaissent, sur les travaux de M. Jacobi, relatifs aux transcendantes elliptiques. Un petit portefeuille où il inscrivait les questions qu’il voulait étudier, et dont plusieurs ont été déjà résolues par lui, prouve encore mieux que rien ne lui échappait, et qu’il avait le projet de traiter de nouveau toutes les parties de l’analyse et de la physique mathématique. Il serait bien intéressant de connaître les problèmes que les hommes supérieurs dans une branche quelconque des connaissances humaines croient susceptibles de solution. Cette espèce de testament scientifique aurait de grands avantages,

  1. Quelques savans un peu trop impatiens murmurent contre la physique mathématique, parce que, disent-ils, elle n’a pas encore produit de grands résultats ; mais on peut leur répondre que la théorie de l’attraction universelle, qui forme du reste aussi un chapitre de la physique mathématique, ayant exigé plus d’un siècle et demi de travaux et les efforts des plus grands géomètres pour arriver au point où elle est aujourd’hui, il ne faut pas s’étonner si d’autres théories, qui viennent à peine de naître, n’ont pas fait d’aussi grands progrès.