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avait contribué à son élection à l’Institut le lui reprochât et voulût le dominer, il forma immédiatement le projet de donner sa démission à l’Académie, pour ne pas rester dans une position dépendante au milieu de cette illustre assemblée. Toutefois, il n’eut pas le temps d’exécuter ce dessein, car deux jours après il vit arriver chez lui M. Poisson, qui n’allait jamais chez personne, et qui l’aborda en lui disant : « J’ai eu bien tort avant-hier, et j’espère que vous oublierez ma vivacité. » — Vous concevez, monsieur, qu’une telle démarche de la part de M. Poisson auprès d’un jeune homme devait pénétrer de respect et de reconnaissance celui qui en était l’objet. Aussi n’a-t-il jamais cessé d’honorer et de chérir comme un père M. Poisson, qui, de son côté, lui a témoigné jusqu’à ses derniers momens la plus sincère, la plus tendre amitié.

Un homme comme M. Poisson, qui se montrait peu et qui n’avait qu’un petit nombre d’amis, était exposé à être jugé défavorablement par ceux qui ne le connaissaient pas, et que blessait sa supériorité. Les accusations les plus banales n’ont pas manqué contre lui. On a crié au cumul, et quelques personnes s’indignaient même de la fortune qu’il se préparait à laisser à ses enfans. Je vous ai déjà dit, monsieur, ce que je pensais de ces clameurs contre les traitemens qu’ont touchés les Cuvier et les Poisson, de ces clameurs qui, dans la société comme elle est organisée actuellement, ne pourraient avoir d’autre résultat que d’éloigner des fonctions publiques les hommes les plus éminens ; mais enfin, puisque l’accusation a été formulée, il est bon de faire remarquer que M. Poisson n’a jamais rien demandé. D’abord ce fut Laplace qui s’occupa de pourvoir à son avancement ; ensuite, lorsqu’après la chute de l’empire la restauration voulut s’entourer de tous les hommes qui avaient cru à ses promesses de paix et de liberté, M. Poisson dut nécessairement fixer l’attention du nouveau gouvernement. Néanmoins, malgré les tendances de cette époque, non-seulement il ne sacrifia jamais aucune de ses opinions philosophiques, mais il ne voulut même pas essayer de les voiler ; et pourtant sa réputation était telle, qu’il fut nommé membre du conseil de l’instruction publique sans en être prévenu[1], et qu’il reçut le titre de baron sans le désirer et sans vouloir jamais faire les dé-

  1. Voici la lettre par laquelle cet illustre géomètre apprit qu’il venait d’être nommé à ces hautes fonctions :

    « M. Cuvier a le plaisir d’annoncer à son cher collègue M. Poisson, que le roi tient de le nommer membre de la commission de l’instruction publique ; cette nouvelle surprendra peut-être le savant qui en est l’objet, mais on peut être sûr qu’elle plaira à tous les amis des sciences et de la véritable instruction.G. Cuvier.

    « Au Jardin du Roi. — Le 22 juillet 1820. »