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secrète, et le centre où elle était, recommençaient pour elle la seule Fronde permise, et lui en rendaient quelques émotions à bonne fin et en toute sûreté de conscience. En apprenant un matin (vers 1663) l’une des ruptures qu’on imputait aux jésuites, elle disait avec son tour d’esprit : « J’ai été assez simple pour croire que les Révérends Pères agissaient sincèrement ; il est vrai que je n’y croyais que d’hier au soir. » Enfin des négociations sérieuses s’engagèrent : M. de Gondrin, archevêque de Sens, concertait tout avec elle. Elle écrivit au pape pour justifier les accusés et garantir leur foi ; elle écrivit au secrétaire d’état, le cardinal Azolin, pour l’intéresser à la conclusion. Avec la princesse de Conti, elle mérita d’être saluée une mère de l’église.

La paix faite, elle fit bâtir à Port-Royal-des-Champs un corps-de-logis ou petit hôtel qui communiquait par une galerie avec une tribune de l’église. À partir de 1672, elle se partagea entre ce séjour et celui de ses fidèles carmélites du faubourg Saint-Jacques, chez lesquelles elle avait déjà un logement. Des épreuves bien douloureuses du dehors achevèrent de la pousser vers ces deux asiles, où elle allait être si ardente à se consumer : la perte d’abord de sa belle-sœur, la princesse de Conti, l’imbécillité et la mauvaise conduite de son fils aîné, le comte de Dunois, la mort surtout de son fils chéri, le comte de Saint-Paul. Elle ne quitta tout-à-fait l’hôtel de Longueville qu’après cette dernière mort si cruelle, et qui nous est tant connue par l’admirable lettre de Mme de Sévigné. Le jeune M. de Longueville fut tué, on le sait, un moment après le passage du Rhin, en se jetant, par un coup de valeur imprudente, dans un gros d’ennemis qui fuyaient, et avec lui périrent une foule de gentilshommes. Il fallait annoncer ce malheur à Mme de Longueville. De peur de rester trop incomplet, nous répétons ici la page immortelle :

« Mademoiselle de Vertus, écrit Mme de Sévigné (20 juin 1672), étoit retournée depuis deux jours à Port-Royal, où elle est presque toujours ; on est allé la quérir avec M. Arnauld, pour dire cette terrible nouvelle. Mademoiselle de Vertus n’avoit qu’à se montrer ; ce retour si précipité marquoit bien quelque chose de funeste. En effet, dès qu’elle parut : Ah, mademoiselle ! comment se porte monsieur mon frère (le grand Condé) ? Sa pensée n’osa aller plus loin. — Madame, il se porte bien de sa blessure. — Il y a eu un combat ! et mon fils ? — On ne lui répondit rien. — Ah ! mademoiselle, mon fils, mon cher enfant, répondez-moi, est-il mort ? — Madame, je n’ai point de paroles pour vous répondre. — Ah ! mon cher fils ! est-il mort sur-le-champ ? N’a-t-il pas eu un seul moment ? Ah ! mon Dieu ! quel sacrifice ! Et là-dessus elle tomba