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réuni les noms, parce qu’il en fallait faire un qui fût pris dans l’opposition, non dans la violence, ce ministère tel quel, il est douteux qu’il accepte, car ses membres sont absens, et le cri de l’Espagne contre les scènes de Barcelone a de quoi décourager tout le monde. Espartero va donc se trouver avec la reine et le gouvernement sur les bras, et n’en sachant que faire, ayant mis les anciens ministres en fuite, ne pouvant pas l’être, n’en ayant pas qui veuillent l’être.

Première punition ! Mais une autre s’en est suivie. Espartero a été débordé, l’émeute a ensanglanté les rues, commis des horreurs qui depuis quarante ans semblaient ne pouvoir reparaître. Espartero a vu des victimes se réfugier à ses pieds et à ceux de sa femme ; il s’est indigné alors. Honneur à lui dans ses fautes ! Il s’est retrouvé ce qu’il est, un cœur honnête et généreux, abusé par des misérables ; il a menacé l’ayuntamiento de le faire fusiller, il a rétabli un peu d’ordre. Mais il est là avec sa reine désolée, humiliée, sans ministres, sans pouvoir, dégoûtée de régner ; et lui, il a vu en un jour ternir sa gloire et rabaisser ses services ! Cependant il s’est relevé en défendant au dernier jour l’ordre et les honnêtes gens. Puisse-t-il mieux comprendre l’intérêt de son pays, de sa souveraine et de sa gloire !

Au milieu de ces hideuses scènes, nous avons à nous honorer, nous, de la conduite du jeune et courageux ambassadeur envoyé à Barcelone. Quand il a été visible qu’aucune machination, aucune intrigue ne pouvait plus être imputée au gouvernement de la reine ; que la diplomatie française, en se montrant à Barcelone, n’encourait aucune responsabilité ; qu’il n’y avait que de l’appui à porter à la reine, M. de la Redorte a reçu ordre de partir. Courageux et plein d’aplomb, nouveau d’ailleurs, étranger aux partis, il courait moins de chances que son prédécesseur. Il s’est embarqué ; il est descendu hardiment au milieu des rues ensanglantées de Barcelone ; dans l’hôtel du consul qu’il habitait, il a fait prendre quelques précautions au moyen des marins français. Il a pris ces précautions afin de couvrir les victimes auxquelles il allait donner asile ; il les a reçues toutes sans distinction ; puis il est allé, accompagné d’un simple secrétaire, se montrer dans les rues. Son regard ferme et calme a déconcerté les odieux égorgeurs qui déshonoraient la capitale de la Catalogne, et il a porté par sa conduite un singulier appui aux honnêtes gens épouvantés.

Il s’est rendu chez la reine, lui a présenté ses lettres de créance et offert l’appui de son gouvernement ; là, il attend, sans se permettre un jugement sur les ministres que la reine a appelés ou appel-