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Les premiers expièrent bientôt leur imprudence. Dix-huit mois après leur débarquement, la frégate anglaise Pandora vint les réclamer pour les livrer à la justice anglaise. Il fallut obéir. Douze insurgés se rendirent à bord, accompagnés de leurs femmes qui poussaient des cris lamentables. Elles se jetèrent aux pieds du commandant et demandèrent à suivre leurs maris en Europe. L’une d’elles surtout, Peggy, épouse de Stewart, se fit remarquer par une douleur naïve et profonde. Quand son amant eut été conduit à bord, elle s’y rendit avec son enfant, se traîna jusqu’au prisonnier, et tomba évanouie dans ses bras. Il fallut l’en arracher de force et lui interdire l’accès du bâtiment. Alors la pauvre Peggy alla s’établir sur la plage, en face de la Pandora, ne la quittant pas un instant des yeux, immobile, morne, silencieuse, vivant de quelques fruits à pain que sa sœur lui apportait. Elle ne bougea pas du rivage tant que la frégate stationna dans la rade, et au jour du départ, après avoir vu son dernier espoir s’évanouir à l’horizon, Peggy regagna lentement sa case et se laissa mourir. Son enfant la suivit de près.

Les huit révoltés qui avaient suivi la fortune de Christian n’eurent pas une fin aussi malheureuse. Embarqués de nouveau sur le sloop, ils atteignirent l’île de Pitcairn, qui allait être le théâtre d’une colonisation fort curieuse. Pitcairn est un écueil perdu au milieu de l’immensité de la mer du Sud. Christian y descendit avec huit Anglais, six hommes et douze femmes de Taïti. L’île était heureusement inhabitée et d’un abord difficile. On s’installa à terre avec tous les objets utiles à l’établissement nouveau, et l’on brûla le sloop. Des habitations furent construites, des terrains défrichés. Les ignames, les taros, les pommes de terre, les bananes, la canne à sucre, réussirent à souhait. L’arbre à pain et le cocotier faisaient partie de la végétation naturelle de l’île. La nature s’était plu à embellir ce lieu d’exil, que des falaises escarpées défendaient contre les visites de croiseurs hostiles ou de voyageurs curieux. Cependant les révoltés ne furent d’abord qu’imparfaitement rassurés, et long-temps, à tour de rôle, ils se posèrent en vigie sur l’un des sommets de l’île, afin d’épier les navires qui pouvaient paraître à l’horizon.

Les premières années de l’établissement furent assez tranquilles, quoique les Anglais eussent pris vis-à-vis des Taïtiens le rôle de maîtres et de maîtres exigeans ; mais bientôt des querelles violentes s’élevèrent au sujet des femmes, dont le nombre n’était pas proportionné à celui des hommes. Pitcairn devint un enfer. Tantôt les blancs surprenaient les sauvages en état de conspiration flagrante