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de lui des passions furieuses qui firent explosion à la première étincelle. Aujourd’hui les masses populaires écoutent paisiblement et applaudissent O’Connell. Il est toujours question, à la vérité, d’une grande croisade protestante qui anéantirait dans les trois royaumes le Satan romain ; mais cette croisade ne se prêche plus dans les rues et sur les places publiques ; elle se prêche dans la chambre des lords et dans des banquets à une guinée par tête, ce qui est beaucoup moins dangereux. À vrai dire, la haine consciencieuse et désintéressée des papistes n’existe que dans un bien petit nombre d’esprits, et si O’Connell pouvait garantir à ceux-ci la conservation de leurs priviléges, à ceux-là la paisible possession du pouvoir et de l’influence, il en est peu qui refusassent de lui serrer la main. Lord Lyndhurst est, dans la chambre des lords, le plus implacable ennemi de l’Irlande. Croit-on que ce soit par haine du catholicisme, par zèle ultra-protestant ? Quant au duc de Wellington et à sir Robert Peel, ils ont prouvé en 1839 combien ils étaient étrangers à toute espèce de préjugés religieux. Il y a donc dans la question anglo-irlandaise plus d’intérêts temporels que d’intérêts spirituels, plus d’esprit de parti que de fanatisme réel.

Ce n’en est pas moins, j’en conviens volontiers, une situation très grave que celle d’une église officielle qui, sur vingt millions d’hommes à peu près dont se compose la population de l’Angleterre et de l’Irlande, ne compte pas plus de sept millions de fidèles, et voit tous les jours ses temples désertés pour la chapelle dissidente ou catholique. Cette église n’est plus celle de la majorité, et le jour où tous ceux qui n’en font pas partie voudront se réunir pour lui enlever ses prérogatives et ses biens, il lui sera bien difficile de les conserver. Mais il y a beaucoup de raisons pour que ce jour soit encore éloigné. La première, c’est qu’entre les catholiques et les dissidens d’une part, et de l’autre entre les diverses sectes de dissidens, il ne saurait exister, malgré quelques rapprochemens passagers, cette union intime et vigoureuse qui triomphe de tous les obstacles. La seconde, c’est que l’Angleterre est un pays de traditions et de précédens, où plus qu’ailleurs la lettre survit à l’esprit et le fait à l’idée. Or, l’église officielle consacrée par la constitution, incorporée avec le gouvernement, intimement unie à l’aristocratie territoriale, a pour elle la double force qui résulte de son ancienneté et de son organisation. Quand elle se sentira trop vivement pressée, elle fera quelques concessions, comme elle a déjà fait, et se tirera d’affaire. Il y a là, dans l’état actuel des esprits, matière à réforme plutôt qu’à révolution.