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L’ANGLETERRE ET LE MINISTÈRE WHIG.

penchant pour la démocratie ; mais sa raison l’accepte, et, en homme convaincu, il se résigne, pour obtenir les avantages, à subir les inconvéniens. Dans le monde radical anglais, le livre de M. de Tocqueville passe pourtant pour un pamphlet contre la démocratie. La raison en est simple. Entre les mœurs démocratiques telles que les décrit M. de Tocqueville, et l’Angleterre même radicale, il y a parfaite antipathie. Si telles étaient les conséquences de la démocratie, pour la plupart des radicaux aussi bien que pour les tories et les whigs, l’arbre serait jugé par son fruit. Pour rester fidèle au principe, on n’a donc d’autre ressource que de nier les conséquences.

De tout ce qui précède, je conclus qu’une révolution démocratique n’est point imminente en Angleterre, et que le pays à cet égard n’est guère plus avancé que les pouvoirs établis. À vrai dire, les seuls démocrates, ce sont les chartistes avec leurs cinq articles de foi, le suffrage universel, les parlemens annuels, le vote secret, l’abolition du cens d’éligibilité et la répartition proportionnelle des députés selon la population. Encore est-il douteux que ce programme tout politique aille à la racine même des institutions qu’il menace. Qu’importe, après tout, que, dans une paroisse dont toutes les maisons et toutes les terres appartiennent à deux ou trois propriétaires, le nombre des électeurs soit plus ou moins grand ? Est-ce d’un autre côté l’aristocratie qui perdrait le plus à ce que les scènes honteuses qui accompagnent en Angleterre toutes les élections populaires se renouvelassent chaque année ? Le scrutin secret aurait sans doute quelque efficacité ; je connais pourtant plus d’un conservateur éminent qui croit que les influences aristocratiques n’en seraient que peu sensiblement altérées. Suffrage universel, parlemens annuels, scrutin secret, l’aristocratie supporterait tout cela plutôt qu’un simple article de loi qui rendrait obligatoire le partage des terres entre tous les enfans. Or cet article, les chartistes eux-mêmes songent à peine à le demander.

Les chartistes, d’ailleurs, par leurs violentes manifestations et par les écrits qu’ils répandent, ont déterminé dans toutes les classes paisibles de la société une vive réaction contre leurs doctrines et contre leurs tendances. Que veut-on que pensent les classes moyennes quand, pour les séduire, on leur dit en propres termes que[1] « si elles ne se joignent pas aux chartistes, un million d’incendiaires iront brûler leurs maisons et leurs magasins, et égorger leurs femmes et leurs

  1. The way to universal suffrage by a tyne chartist.