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cette terre malheureuse, la guerre, une guerre atroce et sanglante, n’a-t-elle jusqu’à ces dernières années cessé d’exister entre le pouvoir et le peuple. La civilisation modifiait et adoucissait progressivement la législation ; elle restait sans influence sur l’administration ; et cette tyrannie, la pire de toutes, était si profondément enracinée, que le premier ministère whig lui-même n’avait pas osé ou voulu en affranchir le pays. Ce sera la gloire du ministère Melbourne de l’avoir attaquée et vaincue jusque dans ses plus redoutables forteresses. Sous ce ministère, l’Irlandais, aux yeux de l’administration comme de la loi, a été l’égal de l’Anglais, et le catholique l’égal du protestant. Sous ce ministère, ni rang ni fortune n’ont pu mettre l’injustice à l’abri de la disgrace, si ce n’est du châtiment. Aussi l’Irlande, malgré ses souffrances, malgré sa détresse, s’est-elle, sous le ministère Melbourne, montrée docile et reconnaissante.

Chose singulière ! si dans la politique des whigs il est quelque chose d’irréprochable, c’est incontestablement leur conduite en Irlande. Là pourtant est, en Angleterre, la cause de leur impopularité croissante, de cette impopularité qui, après leur avoir enlevé le pouvoir pour la seconde fois en mars 1839, ne leur a permis de le reprendre que par le bon plaisir de la reine, plus affaibli et plus vacillant que jamais. Je touche ici à la quatrième époque du ministère whig, celle qui dure encore aujourd’hui. Comme il ne s’agit plus du passé, mais du présent, il est bon d’entrer dans quelques détails.

Il arrive souvent dans le monde politique que la cause apparente des évènemens n’en est pas la cause réelle. Si le ministère du 11 octobre se retira, en 1836, devant un léger échec, c’est que le ministère du 11 octobre avait dans son sein ou au dehors d’autres causes de mort que la question des rentes ; si, en mars 1839, le ministère Melbourne donna sa démission après le vote sur le bill de la Jamaïque, c’est que le ministère Melbourne, plusieurs fois vaincu par les tories depuis le commencement de la session, sentait que sa position n’était plus tenable. Comment les tories, qui, après le bill de réforme, ne comptaient plus que pour un tiers, étaient-ils donc parvenus à reconquérir un ascendant graduel, et à faire, par leurs propres forces, équilibre au parti réformiste tout entier ? Est-ce, comme ils aiment à le dire, parce qu’ils avaient été plus habiles, plus persévérans, plus actifs que leurs adversaires ? Est-ce, comme on le leur répète chaque jour, parce qu’ils avaient su dans les élections remplacer l’autorité par la corruption ? Peut-être y a-t-il dans les deux explications quelque chose de fondé ; mais elles sont, même réunies,