Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 23.djvu/762

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
758
REVUE DES DEUX MONDES.

ou dans les rues, si le mal les surprenait. Des orgies, des débauches, des violences de toute espèce, se succédaient sans interruption ; et rien ne semblait pouvoir arrêter le désordre, quand il cessa tout à coup comme par grace divine, avant même que le général del Caretta, investi des pouvoirs de l’alter ego, se fût présenté devant la ville. C’est de ce retour inespéré au calme et de la cessation de la maladie, qui avait causé tant de crimes, que nous rendions grace à Dieu, au son d’une belle musique, par une brillante matinée de novembre, dans le temple de Minerve à Syracuse.

L’évêque de Syracuse et le général prince Pignatelli Monteleone, nouveau commandant militaire de la ville, assistaient à cette messe métropolitaine ; mais les autres autorités étaient absentes. Je demandai où se trouvaient les magistrats, l’intendant, les syndics. On me répondit qu’ils étaient en exil. J’appris plus tard que toutes ces autorités avaient été, non exilées, mais transférées à Noto. Voici les motifs de cette mesure rigoureuse, qui a été révoquée lors du dernier voyage du roi. À son arrivée à Syracuse, le marquis del Caretta, investi des pouvoirs d’alter ego, trouva l’ordre et le calme rétablis dans la ville. Une garde civique s’y étant organisée d’elle-même, s’était rendue maîtresse de la population et le soulèvement populaire, qui avait eu un caractère politique à Catane, n’avait pas même produit le déploiement d’un autre drapeau que la grande bannière royale que portaient les bateliers syracusains, tout en méconnaissant l’autorité des délégués du roi. Toutefois le marquis del Caretta jugea à propos de prendre un arrêté par lequel la ville de Noto reçut le titre de chef-lieu de la vallée, que portait alors la ville de Syracuse. En conséquence, le chapitre métropolitain, les tribunaux, l’intendant, reçurent l’ordre de se rendre dans cette petite ville, presque déserte, à demi bâtie, où l’on voit un ou deux palais, trois ou quatre belles églises, et à peine cent maisons. L’évêque, âgé et malade, fit douloureusement le voyage de Noto ; mais à la vue de la demeure qui lui était destinée en échange de son magnifique palais de Syracuse, son état maladif s’aggrava sensiblement. Il reprit aussitôt la route de son ancienne résidence, et jura qu’il y finirait ses jours. Le marquis de San-Alfano, intendant de la vallée, possédait un beau palais à Noto, et fut le moins malheureux ; mais les magistrats et les fonctionnaires me donnèrent un risible spectacle quand je visitai Noto quelques jours après leur installation dans le nouveau chef-lieu. Les uns, les plus considérables sans doute, avaient établi leur cabinet dans l’unique café de la ville, composé d’une sale et étroite chambre. Les autres