Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 23.djvu/779

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
775
LE TOMBEAU DE NAPOLÉON.

ne trotte, et que l’artiste l’a représenté immobile, en arrêt pour ainsi dire sur le piédestal et s’avançant sur le vide, qui est devant lui, comme pour en mesurer la profondeur. C’est une pose à peu près semblable que M. Marochetti a choisie, pour son cheval, et s’il est permis d’en juger sur une esquisse, il a trouvé, dans cette pose, le moyen de donner à la statue et à tout l’ensemble du monument un grand caractère d’idéal et de fermeté.

Tel est donc ce projet, ou plutôt cette heureuse trouvaille qui nous promet un monument, je ne dis pas irréprochable, car plus une œuvre est originale, plus elle offre de prise aux censures, mais un monument qui aura le rare mérite de n’être ni plat, ni mesquin, ni commun.

Une seule chose m’inquiète : l’artiste, quand l’idée de son projet lui est apparue, quand il en a mûri la conception, s’est-il bien souvenu du programme ? S’est-il dit dans quel lieu, sous quelles voûtes ce tombeau, de par la loi, devait être élevé ? Nous-même, tout à l’heure, quand nous contemplions son œuvre, nous avions perdu de vue cette impérieuse condition. Il faut pourtant nous y soumettre : entrons donc sous cette coupole et voyons quel effet doit y produire le tombeau.

L’ensemble du projet, y compris la statue équestre, doit avoir plus de cinquante pieds de haut ; il en a pour le moins trente ou trente-cinq de large à sa base, et cette base s’élève carrément à quinze ou vingt pieds du sol.

Représentez-vous une telle masse au milieu de cette rotonde qui, toute grande qu’elle est, n’a, au-dessus de l’entablement, que soixante-quinze pieds de diamètre, et soixante-cinq tout au plus dans le bas, au pied des colonnes. Ainsi la moitié au moins du vide de l’édifice se trouvera remplie par le tombeau. Et où se placera le spectateur ? Comment se reculera-t-il assez loin pour saisir l’ensemble de la pyramide, depuis sa base jusqu’à la statue ? Si les quatre petites nefs qui aboutissent à la rotonde se prolongeaient davantage, on pourrait, en s’enfonçant jusqu’à leur extrémité, trouver un point de vue convenable ; mais on sait combien elles sont courtes : à peine ont-elles dix ou douze mètres de profondeur. Faudra-t-il donc pénétrer dans l’église, et, les yeux tournés vers l’autel, chercher, à travers les chandeliers et les ornemens sacrés qui le surmontent, la statue équestre et le sommet du monument ? Mais comment tolérer, sans une sorte de profanation, qu’un homme domine ainsi l’autel et le tabernacle, qu’il devienne le maître apparent du temple sain, et qu’en voulant lui faire honneur, on se méprenne à le déifier ?