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étaient ramassés et noués derrière la tête. Quand elles sortent, les Tagales ajoutent à ce costume un mouchoir brodé qu’elles jettent sur leurs épaules, et un autre dont elles se couvrent la tête. Cette manière de se vêtir, si propre à mettre en relief les beautés d’une taille svelte et les proportions d’un corps bien fait, décèle bientôt aussi les ravages causés par l’âge ou les maladies ; il faut de plus, pour que ce costume ait tout le charme possible, que la femme qui le porte ait la taille cambrée et des hanches bien prononcées, ce qui manque, il faut l’avouer, à la plupart des beautés indiennes de Manille.

Les métisses, qui sont de toutes les femmes les seules avec lesquelles les étrangers puissent former des liaisons passagères, ont adopté un costume qui tient le milieu entre le tagal et l’européen. Elles portent la cambaye, qui se plisse et ne se drape pas autour de la taille ; ce vêtement ressemble aux robes de nos grisettes. La camisole est conservée, mais on la couvre souvent de superbes mouchoirs de piña, richement brodés. Un rosaire plus ou moins riche, depuis le simple grain de corail jusqu’au travail en or le plus exquis, sert de collier aux métisses comme aux Tagales, et c’est à la beauté de ce bijou consacré que l’on peut reconnaître la générosité d’un amant.

Nos petites marchandes de piña étaient dans le plus simple déshabillé, et les pauvres jeunes filles n’étaient pas assez jolies pour arrêter long-temps nos regards ; mais elles avaient des manières gracieuses qui nous touchèrent beaucoup. Pendant que leur mère ouvrait les tiroirs pour en tirer des rouleaux de piña, les bonnes filles nous apportèrent de la limonade, du vin, et sur une assiette de porcelaine des cigarres avec le bétel ; nous prîmes un cigarre, l’aînée nous offrit obligeamment le feu du sien, et nous fumâmes de compagnie, causant comme de vieilles connaissances. Nous restâmes là plus d’une heure, examinant avec admiration les tissus aériens que les indigènes font avec l’écorce d’ananas, et les magnifiques broderies dont les adroites Tagales couvrent ces mouchoirs que l’on ne connaît pas du tout en Europe.

Nous achetâmes chacun une petite pièce d’étoffe non brodée, de peur que les dessins des broderies que nous avions sous les yeux ne fussent plus de mode en France à notre retour ; puis, après bien des remerciemens de notre part, nous quittâmes nos aimables vendeuses sans les payer, parce que nous n’avions pas assez d’argent sur nous. Il faut que la confiance soit bien grande chez ces gens-là, car nous étions en bourgeois, et, lorsque nous leur laissâmes nos cartes, il ne leur vint seulement pas à l’idée de nous demander qui nous étions.