Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 23.djvu/853

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
849
JOURNAL D’UN OFFICIER DE MARINE.

C’est dans Physic-Street que sont tous les apothicaires, et c’est un coup d’œil charmant que celui de cette rue aux enseignes peintes de toutes les couleurs. Quand le soleil l’éclaire à travers les tentes qui la couvrent en plusieurs endroits et que ses rayons jouent de mille manières sur les brillans étalages des droguistes chinois, je ne puis comparer cette rue qu’à une décoration de théâtre. Les grandes planches verticales aux faces chargées de lettres d’or, qui servent d’enseignes aux boutiques, faisant saillie depuis le pavé jusqu’au haut de la porte, le mouvement de la rue, quand on la regarde en enfilade, semble avoir lieu sur une scène étroite, mais prolongée, où l’on aurait multiplié à l’infini et dans le goût le plus piquant les décorations partielles qui forment les coulisses. Durand nous fit remarquer, en passant, quelque chose d’assez curieux : nous étions souvent assourdis du tapage fait par des Chinois, hommes, femmes ou enfans, que nous rencontrions à chaque pas dans les boutiques ou sur la porte, frappant l’un contre l’autre deux morceaux de bois dur, dont le son aigre et désagréable remplissait les rues. Je m’étonnais de la patience avec laquelle un tranquille marchand restait à son comptoir, fumant sa pipe, tandis qu’une vieille femme était sous son nez à frapper avec force ses maudits bâtons. — Cette femme que vous voyez, me dit alors Durand, est une mendiante qui demande l’aumône ; c’est un droit acquis par ces gens de venir d’abord sur le seuil de la porte faire entendre leur infernale musique. Si le propriétaire de la maison donne quelque chose, c’est fini, le trouble-repos passe et va plus loin ; mais, si on fait la sourde oreille, le bruit redouble, l’importun quêteur entre peu à peu, vient s’établir jusqu’auprès de sa victime, et la lutte ne finit que par la fatigue du bourreau ou par la générosité forcée du patient, qui, n’y tenant plus, achète pour un peu d’argent quelques instans de paix. Il faut être Chinois pour supporter des usages pareils.

Enfin nous entrâmes dans un grand magasin, qui se composait de deux salles éclairées par des lucarnes ménagées dans le toit. Là se trouvaient les objets antiques les plus curieux en agate, en jaspe, en porcelaine, en racine de bambou, en cuivre et en bronze, en ivoire, en peinture, etc. Par terre, on voyait, montés sur des bases élégantes, des morceaux de rochers noirs aux formes étranges, imitant pour la plupart des cascades ou des jets d’eau. Je remarquai, parmi les objets dont le prix était exorbitant, un réchaud ou cassolette à parfums, en bronze d’un travail exquis. Deux dragons servaient d’anses pour le couvercle, et les signes du zodiaque se