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s’en défendre, lorsque précisément la démocratie, l’objet de ses travaux, le sujet de son livre, était, pour ainsi dire, là, devant lui, réclamant sa part, et que toutes les autres causes se tenaient dans l’ombre, en silence, l’écrivain leur ayant fait entendre qu’il n’y avait pas de place pour elles dans son livre ? Enfin, peut-on assurer qu’en observant les pays démocratiques, l’auteur, qui ne voulait rien omettre, qui, dans ce but, cherchait dans son esprit tout ce qu’un peuple peut avoir d’idées, de sentimens, de tendances, pour les soumettre à la même question : — Quelle a été sur cela l’influence de la démocratie ? — peut-on, dis-je, assurer qu’il n’a jamais laissé de côté l’observation des faits pour nous donner à la place les conceptions de son esprit ?

Un exemple fera mieux comprendre le doute que nous indiquons ici. Dans un des chapitres de son livre (Ire partie, chap. VII), l’auteur se propose de rechercher ce qui fait pencher l’esprit des peuples démocratiques vers le panthéisme. Qu’on nous permette de transcrire ce court chapitre. Ceux de nos lecteurs qui ne connaissent pas encore l’ouvrage de M. de Tocqueville, verront par là qu’il n’y avait pas l’ombre d’exagération dans tout ce que nous avons dit de la beauté et du fini de son travail. Cependant le chapitre que nous transcrivons n’est pas des plus remarquables.

« Je montrerai plus tard comment le goût prédominant des peuples démocratiques pour les idées très générales se retrouve dans la politique ; mais je veux indiquer, dès à présent, son principal effet en philosophie.

« On ne saurait nier que le panthéisme n’ait fait de grands progrès de nos jours. Les écrits d’une partie de l’Europe en portent visiblement l’empreinte. Les Allemands l’introduisent dans la philosophie, et les Français dans la littérature. Parmi les ouvrages d’imagination qui se publient en France, la plupart renferment quelques opinions ou quelques peintures empruntées aux doctrines panthéistiques, ou laissent apercevoir chez leurs auteurs une sorte de tendance vers ces doctrines. Ceci ne me paraît pas venir seulement d’un accident, mais tenir à une cause durable.

« À mesure que, les conditions devenant plus égales, chaque homme en particulier devient plus semblable à tous les autres, plus faible et plus petit, on s’habitue à ne plus envisager les citoyens pour ne considérer que le peuple ; on oublie les individus pour ne songer qu’à l’espèce.

« Dans ces temps, l’esprit humain aime à embrasser à la fois une