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COLOMBA.

à la hâte. Cependant son bras gauche le faisait cruellement souffrir, et il lui semblait qu’il soutenait un poids énorme. Qu’étaient devenus ses adversaires ? il ne pouvait le comprendre ; s’ils s’étaient enfuis, s’ils avaient été blessés, il aurait assurément entendu quelque bruit, quelque mouvement dans le feuillage. Étaient-ils donc morts ? ou bien plutôt, n’attendaient-ils pas, à l’abri de leur mur, l’occasion de tirer de nouveau sur lui ? Dans cette incertitude, et sentant ses forces diminuer, il mit en terre le genou droit, appuya sur l’autre son bras blessé, et se servit d’une branche qui partait du tronc de l’arbre brûlé, pour soutenir son fusil. Le doigt sur la détente, l’œil fixé sur le mur, l’oreille attentive au moindre bruit, il demeura immobile pendant quelques minutes qui lui parurent un siècle. Enfin, bien loin derrière lui, un cri éloigné se fit entendre, et bientôt un chien, descendant le coteau avec la rapidité d’une flèche, s’arrêta auprès de lui en remuant la queue ; c’était Brusco, le disciple et le compagnon des bandits, annonçant sans doute l’arrivée de son maître, et jamais honnête homme ne fut plus impatiemment attendu. Le chien, le museau en l’air, tourné du côté de l’enclos le plus proche, flairait avec inquiétude ; tout à coup il fit entendre un grognement sourd, franchit le mur d’un bond, et presque aussitôt remonta sur la crête, d’où il regarda fixement Orso, exprimant dans ses yeux la surprise aussi clairement que chien le peut faire ; puis il se remit le nez au vent, cette fois, dans la direction de l’autre enclos, dont il sauta encore le mur. Au bout d’une seconde, il reparaissait sur la crête, montrant le même air d’étonnement et d’inquiétude ; puis il sauta dans le maquis, la queue entre les jambes, regardant toujours Orso, et s’éloignant de lui à pas lents, par une marche de côté, jusqu’à ce qu’il s’en trouvât à quelque distance. Alors, reprenant sa course, il remonta le coteau presque aussi vite qu’il l’avait descendu, à la rencontre d’un homme qui s’avançait rapidement malgré la raideur de la pente.

— À moi ! Brando, s’écria Orso dès qu’il le crut à portée de la voix.

— Ho ! Ors’ Anton’! vous êtes blessé ? lui demanda Brandolaccio accourant tout essoufflé. Dans le corps, ou dans les membres ?…

— Au bras.

— Au bras ! ce n’est rien ; et l’autre ?

— Je crois l’avoir touché.

Brandolaccio, suivant son chien, courut à l’enclos le plus proche, et se pencha pour regarder de l’autre côté du mur. Là, ôtant son bonnet :

— Salut au seigneur Orlanduccio, dit-il. Puis, se tournant du côté d’Orso, il le salua à son tour d’un air grave : — Voilà, dit-il, ce que j’appelle un homme proprement accommodé.