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avait pris parti pour la religion nouvelle ; les chrétiens remplissaient alors la ville, et l’Égypte, et l’empire. Si le triomphe d’une des causes rivales avait dépendu du pouvoir, comme M. Matter paraît le croire, l’apostasie de Julien aurait pu être fatale au christianisme. Elle ne servit qu’à montrer qu’il avançait par sa propre force. Il avait déjà traversé des persécutions bien autrement cruelles. Ce qui marque, au surplus, que l’influence d’Alexandrie n’était pas méconnue, c’est le soin que prit l’empereur d’y réchauffer le zèle des écoles païennes. Il voulait restaurer le musée, rouvrir les sanctuaires. Le médecin Zénon de Chypre, à qui cette mission fut confiée, se consuma, pour y parvenir, en inutiles efforts. Rien n’y pouvait ; le paganisme n’avait plus de souffle. L’évêque arien qui occupait le siége d’Alexandrie pendant l’exil de saint Athanase, disait à la foule qui l’entourait, en passant devant le Sérapéum : « Jusqu’à quand tolérera-t-on ces sépulcres ? » Bientôt Théodose fit fermer les temples ou les convertit en églises chrétiennes. On montrait au peuple avec dérision les statues creuses dont les prêtres s’étaient servis pour faire parler leurs dieux. À Alexandrie, toutes les statues furent renversées ; on en laissa debout une seule, comme un monument de la folie du polythéisme ; c’était un cynocéphale. Enfin Théodose ferma l’école d’Athènes en 529. Celle d’Alexandrie végéta encore quelque temps, et il restait à peine quelques faibles traces de toute cette vie littéraire, quand Omar fit jeter à l’eau la seconde bibliothèque, et que l’Égypte devint musulmane.

En s’attachant aux faits matériels avec une persévérance opiniâtre, M. Matter est parvenu à supprimer tout l’intérêt que l’école d’Alexandrie inspire. Quand il n’a plus que des ruines à nous montrer, on n’éprouve ni pitié ni sympathie pour ces écoles détruites, pour cette civilisation anéantie. C’est qu’en supprimant les idées, il a supprimé tout, et qu’il ne reste dans son livre que des noms propres qui ne rappellent rien et ne disent rien.

Voilà un développement de dix siècles ; où est l’unité de cette histoire ? Quel en est le point culminant ? Quel rôle a joué cette école sur la scène du monde ? Comment se rattache-t-elle aux autres écoles ? A-t-elle vécu sur de vieilles idées, ou produit des idées qui lui appartiennent ? Et cette antiquité que l’école d’Alexandrie représente tout entière, ce vieux monde si héroïque, si poétique, avec ses traditions, ses arts, ses mœurs, sa littérature, a-t-il péri sans retour dans Alexandrie ? N’a-t-il rien laissé de lui dans la société nouvelle ? M. Matter annonce sur son titre et déclare dans sa préface qu’il com-