Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 24.djvu/118

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
114
REVUE DES DEUX MONDES.

Carlyle raconte comment se fit cette opération de destruction, comment croula pêle-mêle la vaste fabrique de la monarchie française, précédant la ruine de la monarchie européenne. Qu’il y ait eu, dans ce moment, des protecteurs du vieux monument et d’ardens démolisseurs de ces pierres vermoulues, il ne s’en étonne pas. Que les uns et les autres aient été violens toujours, sublimes rarement, ridicules souvent, il ne s’en étonne pas davantage, et il n’accuse personne. Quand les acteurs sont puérils et les personnages mesquins, il compare en riant leur petitesse aux énormes dimensions de la catastrophe, et c’est alors qu’il lui arrive d’être fréquemment burlesque.

Ce côté de son talent n’est pas moins hostile que tous les autres à nos habitudes et à nos idées gallo-romaines, toujours un peu solennelles et disciplinaires. Il n’y a rien, certes, qui nous aille moins que le ton burlesque appliqué comme couverture et comme voile à une pensée énergique et à un tableau puissant. Nous préférons le vernis de la profondeur dorant la nullité du fond, à l’air frivole ou gai cachant un fond sévère. Ceux de nos compatriotes qui s’aviseront de lire quelques chapitres de Carlyle sur la foi de notre recommandation, croiront en vérité que nous nous moquons d’eux, quand ils déchiffreront les titres suivans : Astrée de retour sans un sol ; — Pétition hiéroglyphique ; — Problématique ; — Les sacs à vent ; — Cela devient électrique ; — Mercure de Brézé ; — De Broglie, dieu de la guerre ; — Les Noyades ; — etc., etc. Leur mépris pour l’homme qui traite en style de Scaramouche le plus grand évènement des temps modernes se mêlera sans doute de quelque colère qui pourra bien retomber sur son critique.

Raisonnons cependant. La grandeur des caractères ne dépend point de la grandeur des évènemens. Il est également vrai que les faits sérieux et graves de ce monde sont toujours mêlés d’un alliage de puérilité et de bizarrerie qui n’est pas le moindre enseignement de l’histoire. Reproduire au hasard ces misérables détails sans en oublier un seul serait une œuvre absurde et abjecte ; les choisir et les caractériser, de manière à ce que l’humanité tout entière, analysée dans ses derniers replis et dans ses derniers élémens, se montre et s’offre nue à l’œil investigateur, c’est un travail sérieux, immense et profond. Lorsque Cromwell et ses officiers décidèrent que la république serait instituée en Angleterre, lorsque ce puissant hypocrite eut écouté les déclamations de ceux qui l’entouraient et leurs sermons contre le pouvoir d’un seul et la dictature, il lui prit tout à coup (dit Ludlow, qui était présent) « une si folle joie, que, saisissant un coussin, et