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de blâmer et qui ne donne que les fleurs. L’Histoire de la Littérature en Danemark et en Suède est d’une lecture fort agréable et pleine de charme. Ces études gagnent à être réunies, et on aperçoit mieux les fines nuances de ce qui, dans l’isolement successif des articles, pouvait paraître un peu monotone. Le talent délicat, tendre, aimable de M. Marmier s’y retrouve et brille en bien des pages, relevé par un style facile, plein de laisser-aller et de grace. Mais, je l’ai dit, il ne serait pas de bon goût d’insister ici sur l’éloge. J’aime mieux tomber dans l’inverse du défaut que je blâmais tout à l’heure. M. Marmier est trop indulgent, et je suis trop sévère à son égard. C’est un privilége de l’amitié.

Le livre de M. Marmier clot la liste des récens travaux sur le Nord ; nous ne pouvions mieux terminer. Ces efforts, ces essais, dans leur variété, dans la diversité même de leur méthode et de leur but, méritent d’être remarqués et souvent encouragés. Il suffit de se méfier de l’engouement facile des traducteurs et de l’enthousiasme exagéré des historiens, contre lesquels il était bon de protester avec quelque vivacité. Mais dès que la mesure est suffisamment rétablie, dès que c’est seulement un voyage de découverte, sans admiration préconçue, sans expédition bruyante vers une invisible toison d’or, on ne saurait trop pousser l’ardente activité des intelligences de notre temps vers ces plages inconnues qu’il importe de conquérir à la science. Les lettres, comme l’histoire, ont beaucoup à profiter de ces utiles excursions. Et d’ailleurs qui sait l’avenir ? La littérature scandinave n’a pas été sans influence sur la poésie européenne du moyen-âge. Puis est venu le tour de la politique. De grands rois ont fait d’un petit peuple une grande nation : Gustave Wasa, Gustave Adolphe, Christine, Charles XII, cette glorieuse et unique succession d’hommes puissans (je ne retire pas le mot pour Christine), ont élevé les destinées de la Suède à la hauteur de leur génie. Depuis, les états du Nord ont cessé de figurer au premier plan. Mais voilà de nouveau que toute une littérature, déjà brillante, renaît en Danemark, à Stockholm, en Islande même. Que deviendra ce mouvement intellectuel ? S’arrêtera-t-il ? Les populations scandinaves reprendront-elles un jour le rang politique que leur avaient conquis quelques grands capitaines ? La monarchie, en un mot, aura-t-elle été plus favorable pour le Nord que ne le sera la démocratie qui s’avance ? C’est ce que l’histoire dira un jour, c’est ce qu’il serait difficile de deviner.


Ch. Labitte.