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nouvelle vie pour lui commence. Il accomplissait ses vingt-cinq ans et était à ce point où un seul rayon de plus achève de nous mûrir.

Le cardinal auquel Du Bellay s’attachait était un personnage éminent par l’esprit, par les lumières, le doyen du Parnasse comme du sacré Collége. Il avait été autrefois le patron de Rabelais qu’il avait eu pour médecin dans ses anciens voyages de Rome, pour moine ou chanoine séculier à sa très commode abbaye de Saint-Maur, et à qui il avait procuré finalement la cure de Meudon[1]. On peut s’étonner, libéral et généreux comme il était, qu’il n’ait pas plus fait pour notre poète dont il put apprécier de ses yeux le dévouement et les services durant des années. Le cardinal avait à Rome le plus grand état de maison ; il s’était fait bâtir un magnifique palais près des Thermes de Dioclétien. Joachim devint son intendant, son homme d’affaires et de confiance :

Panjas, veux-tu savoir quels sont mes passe-temps ?
Je songe au lendemain, j’ai soin de la dépense
Qui se fait chaque jour, et si faut que je pense
À rendre sans argent cent créditeurs contens…

J’ai le corps maladif, et me faut voyager ;
Je suis né pour la muse, on me fait ménager…

Jamais d’ailleurs, dans les plaintes qu’il nous a laissées, jamais un mot ne lui échappe contre son patron. Ce n’est ni l’ambition ni l’avarice qui l’ont poussé près de lui et qui l’y enchaînent ; un sentiment plus noble le soutient :

L’honnête servitude où mon devoir me lie
M’a fait passer les monts de France en Italie.

Toute la série des souffrances et des affections de Du Bellay durant ce séjour à Rome nous est exprimée fidèlement dans deux recueils intimes, dans ses vers latins d’abord, puis dans ses Regrets ou Tristes à la manière d’Ovide.

Il y eut évidemment interruption du premier coup et comme solution de continuité dans son existence morale et poétique. Il arrivait avec de l’enthousiasme, avec des espérances ; il se heurta contre la

  1. Il m’est échappé, dans le Tableau de la Poésie française au seizième Siècle, pag. 72, de dire que Rabelais fut avec Du Bellay du voyage de Rome ; il faut lire avant. Ils suivirent l’un et l’autre le même patron, mais en des temps différens. Il y a près de quinze ans entre le dernier voyage de Rabelais en Italie et celui de Joachim.