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auteurs dont l’autorité nous doit ôter cette opiniâtre opinion de vouloir toujours persister en ses avis, principalement en matières de lettres. Quant à moi, je ne suis pas stoïque jusques-là. » En général, on sent chez lui, en avançant, un homme qui a profité de la vie et qui, s’il a payé cher l’expérience, ne la rebute pas. Il a dit quelque part de ses dernières œuvres, de ses derniers fruits, en les offrant au lecteur, qu’ils ne sont du tout si savoureux que les premiers, mais qu’ils sont peut-être de meilleure garde. Du Perron goûtait beaucoup ce mot-là.

Il conviendrait peu d’insister en détail sur la suite des poésies latines de Du Bellay ; il en a lui-même reproduit plusieurs en vers français. De Thou, en louant ses Regrets, ajoute que Joachim avait moins réussi aux vers latins composés à Rome dans le même temps. Colletet est d’un autre avis et estime qu’au gré des connaisseurs, ces vers latins se ressentent du doux air du Tibre que l’auteur alors respirait. S’il m’était permis d’avoir un avis moi-même en une telle question, j’avouerai que, s’ils ne peuvent sans doute se comparer à ceux d’un Bembo ou d’un Naugerius, ils ne me paraissent aucunement inférieurs à ceux de Dorat, de L’Hôpital ou de tout autre Français de ce temps-là. La seule partie qui reste pour nous véritablement piquante dans les vers latins de Du Bellay, ce sont ses amours de Faustine. Le ton y prend une vivacité qui ne permet pas de croire cette fois que la flamme se soit contenue dans la sphère pétrarquesque. Il ne vit et n’aima cette Faustine que le quatrième été de son séjour à Rome ; il avait bravé fièrement jusque-là le coup d’œil des beautés romaines :

Et jam quarta Ceres capiti nova serta parabat,
Nec dederam sævo colla superba jugo
.

Il n’est nullement question de cet amour dans ses Regrets, dont presque tous les sonnets ont été composés vers la troisième année de son séjour : à peine, vers la fin, pourrait-on entrevoir une vague allusion[1]. Si Du Bellay avait aimé Faustine durant ces trois premières années, il n’aurait pas tant parlé de ses ennuis, ou du moins c’eût été pour lui de beaux ennuis, et non pas si insipides. À peine commençait-il à connaître et peut-être à posséder[2] cette Faustine,

  1. Peut-être dans le sonnet LXXXVII, où il se montre enchaîné et comme enraciné par quelque amour caché.
  2. Haud prius illa tamen nobis erepta fuit, quam
    Venit in amplexus terque quaterque meos
    .