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PERCIER.

nier acte de cette compagnie ; il était impossible de clore plus dignement l’histoire de l’ancienne Académie, ni d’inaugurer d’une manière plus heureuse l’avènement de la nouvelle école.

Cependant, la révolution qui s’accomplissait alors en France et qui tenait en éveil toutes les intelligences et toutes les forces de l’Europe, avait porté la terreur dans les états du pape. Ce qui se trouvait de Français à Rome était réduit à fuir par des routes détournées et exposé à rencontrer partout des yeux ennemis. M. Percier fut le seul qui ne se troubla pas dans cette émotion générale. Il prit tranquillement le chemin de la France, et le chemin le plus long, à travers la Marche d’Ancône, avec son portefeuille sous le bras et son crayon à la main, marchant à pas lents, dessinant tout le jour, s’arrêtant devant chacun de ces précieux témoins de l’histoire de l’art dont le sol de l’Italie est semé, et trouvant partout, au lieu de la haine du nom français, l’hospitalité de l’artiste. C’était sans doute, au sein de ce pays où fermentaient tant d’idées nouvelles parmi tant d’habitudes anciennes, quelque chose de curieux à voir qu’un jeune architecte seul paisible parmi des populations inquiètes, seul occupé à suivre les traces de la renaissance en des lieux où tout se préparait pour le passage d’une révolution, ne voyant dans cette Italie, livrée à toutes les traditions du passé et à toutes les chances de l’avenir, que l’architecture sous toutes ses formes et l’art à toutes ses époques ; à Rimini, où il admire, devant la belle cathédrale des Malatesta, le premier chef-d’œuvre de la renaissance, dans celui de l’architecte qui donna le premier commentaire de Vitruve, montrant ainsi comment il faut entendre et appliquer les anciens ; à Ravenne, cette capitale de la monarchie des Goths, où il n’y a pourtant rien de gothique, mais où se trouvent deux types originaux d’un art nouveau, la première église byzantine de l’Occident à côté de la vieille basilique du christianisme primitif ; à Venise, où tous ses secrets de l’art de bâtir sont cachés au sein des lagunes, et toutes les magnificences étalées au-dessus des flots avec une profusion de richesse qui semble réfléchir l’Orient et tenir de la féerie ; à Padoue, à Vérone, où l’art des Vauban apparaît déjà tout formé dans les œuvres d’un San-Micheli, avec cette différence que l’architecture militaire s’y montre plus ornée, sans être moins savante ; à Mantoue, où Jules Romain s’est bâti, dans le palais ducal, un monument qu’il remplit seul aujourd’hui de sa gloire ; à Vicence enfin, où l’on peut dire que Palladio se montre avec toute son ame, comme avec tout son génie, dans la décoration de sa patrie. C’étaient là les leçons que M. Percier recueillait à chaque