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PERCIER.

deux artistes, alors sans autre recommandation que leurs talens, sans autres patrons qu’eux-mêmes ; il les fit du premier coup architectes du Louvre et des Tuileries, et cette élévation si subite d’hommes la veille encore si inconnus n’excita nulle part d’étonnement ni d’envie. C’est qu’en ce temps où une haute intelligence présidait aux destinées de la patrie, une volonté ferme imposait silence à toutes les passions, comme elle inspirait confiance à tous les esprits. Le pouvoir avait son action libre et facile en face d’une société qui s’abandonnait tout entière au génie d’un homme. Il n’avait pas à se défendre contre ces ligues savantes de la médiocrité et de l’intrigue qu’on a vues, en d’autres temps, dominer le gouvernement par la peur, le public par la flatterie, et s’imposer à l’un et à l’autre par le bruit qu’elles font. Auprès d’un caractère de la trempe du premier consul, la peur avait peu de prise, la flatterie peu de faveur ; il ne souffrait autour de lui d’autre bruit que celui de sa renommée. Il pouvait donc choisir ses architectes aussi librement et avec la même autorité que ses lieutenans, et la France était toujours disposée à applaudir à des choix qu’elle trouvait toujours justifiés par le mérite et consacrés par la gloire. C’est ainsi que MM. Percier et Fontaine devinrent les architectes du consulat et de l’empire ; c’est à ce même titre qu’après la chute de l’empire ils demeurèrent l’un et l’autre à leur poste, où une révolution nouvelle respecta, dans ces deux débris du régime impérial, quelque chose de plus encore que les droits du talent ; et c’est de cette manière que le nom de M. Percier, lié à l’histoire du Louvre et associé pour ainsi dire à son inviolabilité, a mérité de vivre autant que lui.

À partir de cette époque de la vie de M. Percier, qui est presque l’histoire de l’architecture en France durant un quart de siècle, il devient difficile d’énumérer seulement les travaux qui la remplissent, et plus difficile encore de séparer le compte de ces travaux de celui qui appartient à une autre vie. Mais aussi, pourquoi me ferais-je un devoir pénible de séparer dans ces pages ce qui doit rester uni dans l’histoire ? Ne serait-ce pas une injustice, que d’établir des distinctions là où nous ne trouvons que des rapports ? Et, quand nous avons à louer, dans la vie de M. Percier, cet exemple si rare de deux hommes supérieurs confondus pour ainsi dire en une même existence, n’y aurait-il pas une sorte de sacrilége à désunir ce qu’avait joint l’amitié ? N’est-ce pas, d’ailleurs, le trait le plus saillant de cette destinée commune de deux grands artistes que cette union inaltérable dans des travaux où chacun devait apporter sa part d’ima-