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LE BRIGANDAGE DANS LES ÉTATS ROMAINS.

n’étaient pas pansées, et qui, dévorés par la fièvre, étaient chaque jour obligés de faire de longues courses dans la montagne, eût touché de commisération des cœurs moins endurcis. À la fin, las d’attendre, fatigués des plaintes de leurs victimes qui ne les suivaient qu’avec des souffrances inouies et qui les gênaient dans leurs mouvemens, ils les égorgèrent et les jetèrent dans un ravin. Les paysans chargés de traiter de la rançon des captifs avec les brigands racontent encore avec horreur quelques incidens dont ils furent témoins et qui précédèrent la fin de ces infortunés. La veille du jour où les bandits les mirent à mort, ils dépouillèrent l’archi-prêtre de sa soutane, et, malgré les douleurs affreuses que lui causaient ses mains mutilées, ils lui firent passer l’habit de velours d’un de leurs compagnons, l’obligèrent à prendre sa carabine avec ses moignons et le coiffèrent d’un grand chapeau pointu. En revanche, un des leurs endossait la soutane du prêtre, et, par une sorte de dérision cruelle, lui débitait dans son grossier langage un sermon sur la mort. Les brigands, que ces déguisemens avaient mis en belle humeur, entourèrent ensuite leurs prisonniers, en chantant et en dansant en rond autour d’eux à la manière des cannibales qui dansent autour de leurs victimes ; enfin, comme le malheureux prêtre épuisé par la fièvre et la douleur avait une défaillance, ils le firent revenir à lui en lui mettant un charbon allumé dans chaque main.

On croit sans doute qu’une terrible et vigoureuse répression suivit le meurtre de l’archi-prêtre de Vicovaro, et que le gouvernement ne songea plus du moins à pactiser avec les assassins. Il n’en fut rien. De nouveaux pourparlers eurent lieu entre les chefs de bande et les agens du gouvernement. Bientôt même il fut question d’une amnistie pure et simple ; mais les brigands, qui savaient bien, eux, qu’il n’y a que celui qui sait punir qui pardonne efficacement, ne voulaient de cette amnistie qu’à certaines conditions. Non-seulement le gouvernement pontifical s’engagerait à ne pas les poursuivre, mais il devait encore assurer leur sort et pourvoir à leur subsistance, de sorte que ce n’était plus une grace, mais des récompenses qu’ils demandaient. Le cardinal légat ayant repoussé ces étranges prétentions, les déprédations recommencèrent, et, de Fondi à Subiaco, tout le pays fut en quelque sorte mis à contribution par des bandes toujours présentes et toujours insaisissables. Alors eut lieu le singulier évènement que nous allons rapporter, évènement qui fait connaître tout à la fois la maladresse et la faiblesse du gouvernement romain, l’audace et l’astuce des brigands.