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THÉÂTRE ESPAGNOL.

colère royale, n’hésite plus. Il propose au roi de le conduire sur la place même où le crime a été consommé et où il va être puni. À peine y sont-ils arrivés, qu’un rideau tendu devant la maison de l’assistant est enlevé et laisse voir la statue en pierre de don Pèdre. Non loin de là une lampe est suspendue à la fenêtre d’où la vieille a été témoin du meurtre. — C’est mon portrait, s’écrie le roi. — Voilà le coupable, répond Jean Pascal, et voici le juge, qui vous rappelle à genoux les injonctions et les promesses qu’il a reçues de vous. — Le roi le relève, l’embrasse, et, dans son admiration, pour perpétuer le souvenir de cet acte éclatant de justice et d’une courageuse intégrité, il ordonne que sa statue reste à jamais dans le lieu où elle vient d’être placée, et que Jean Pascal conserve à perpétuité les fonctions d’assistant de Séville.

Nous avons dit que ce dénouement était puisé dans une de ces traditions dont abonde l’histoire de Pierre-le-Justicier. Celle dont il s’agit a été consacrée à Séville et transmise d’âge en âge par la présence de la statue et par le nom même de la rue, qui s’appelle encore, si nous ne nous trompons, la rue de la Lampe.

Le caractère des premiers successeurs de don Pèdre ne prêtait pas à beaucoup près autant que le sien aux développements dramatiques. Les guerres civiles qui troublèrent leur règne et remplirent la plus grande partie du XVe siècle sont peu fécondes en évènemens vraiment saillans qu’on puisse détacher de l’ensemble de l’histoire pour en former le thème d’une composition tragique. Elles ont pourtant fourni la matière de quelques drames, tels que la Femme prudente, de Tirso de Molina, et le Pauvre Diable en Espagne, de Canizares, qui renferment çà et là de véritables beautés, mais qui n’ont pas un caractère suffisant d’originalité pour que nous croyions devoir nous y arrêter. Le fait le plus marquant de cette époque, la disgrace et la mort d’Alvaro de Luna, ce favori long-temps tout puissant de Jean II, qui, abandonné enfin par son faible maître à la haine jalouse des grands, expia sur l’échafaud sa fortune plutôt que ses crimes, cette terrible catastrophe qui laissa un long et profond souvenir dont tant de romances nous ont transmis la pathétique expression, n’a inspiré à Lope de Vega qu’un drame fort médiocre.

Ce XVe siècle, dont les longues perturbations avaient paru faire retomber la puissance espagnole au-dessous de ce qu’elle était du temps de Pierre-le-Justicier, vit, avant d’expirer, jeter les bases de la formidable monarchie de Charles-Quint et de Philippe II. Le mariage de Ferdinand et d’Isabelle, en réunissant sous le même sceptre l’Aragon et la Castille, rendit facile l’anéantissement de ce qui subsistait encore de la puissance musulmane dans la Péninsule.

Le siége et la prise de Grenade sont le sujet d’un drame dont le titre est bizarre, c’est le Triomphe de l’Ave Maria. Ce drame, d’un auteur inconnu, n’a pas une grande valeur poétique, mais il mérite d’être signalé comme une reproduction frappante des mœurs chevaleresques et de l’exaltation religieuse de cette époque. Un chevalier chrétien, pour faire preuve à la fois de bravoure et de piété, imagine de pénétrer secrètement dans la ville assiégée et d’y