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LITTÉRATURE ANGLAISE.

se jouent Pitt, Burke, Canning, Huskisson, Castlereagh, Romilly, Wilberforce, permet au lecteur d’étudier à son aise et dans tous leurs détails les mouvemens égoïstes de la Grande-Bretagne pendant le combat de son aristocratie mourante contre la démocratie française naissante. En écrivant ce mot égoïsme, nous sentons notre plume trembler. Cet égoïsme n’était-il pas nécessaire ? La plus vulgaire logique s’étonne de voir la même idée transformée en crime pour les uns, en vertu pour les autres. Qui ne reconnaîtrait ici la nécessité d’une règle générale et religieuse pour tous les peuples, l’indispensable besoin d’une pensée divine qui règle le bien et le mal ? Le moyen-âge possédait cette règle, et la papauté en était dépositaire. Mais aujourd’hui, quelle règle ? quelle loi ? quel ordre ? quelle discipline ? Tout vague et s’ébranle au hasard. L’Angleterre, attaquée dans ses bases sociales par la révolution de 1789, s’est défendue avec égoïsme ; elle s’est conservée autant qu’elle a pu, et elle a très bien fait. Elle succombera ou se transformera quelque jour ; nous la verrons à l’œuvre, ou plutôt nos enfans la verront. En attendant cette ère future, le récit détaillé de ses efforts pendant la première moitié du XIXe siècle rend fort intéressant l’ouvrage d’Archibald Alison, auquel on ne peut reprocher que sa méconnaissance profonde du caractère et du génie gallo-romain devenu le génie français. Comme la plupart de ses compatriotes, il en a vu les vices et non les grandes parties ; l’élan généreux, le mouvement rapide, la sympathie prompte de notre race ont échappé à son observation partiale.

Mais il a compris l’enchaînement général et la connexité des affaires européennes. Cet écrivain, chez lequel brillent la sagesse, la largeur et la justesse du coup d’œil, plutôt que l’éclat du style et la hardiesse des aperçus, a entrevu une vérité majeure, étrangère à notre siècle d’analyse excessive et d’extrême détail ; c’est qu’il faut étudier l’Europe à titre de région homogène, comme un corps complet et formant ensemble. Telle fut la Grèce des Amphyctions, telle la Rome de César. Fractionner l’histoire de l’Europe, c’est renoncer à toute compréhension de ses diverses histoires. Voltaire, dont l’esprit traversait la vérité comme un rayon de soleil traverse le prisme, s’est douté de ce résultat sans l’approfondir et surtout sans le féconder. Il a écrit sous cette impression confuse son Essai sur les Mœurs des Nations. Allemagne, Angleterre, Italie, ne sont que des fragmens. Plus un peuple est central et sympathique, plus son histoire, mêlée nécessairement et intimement à toutes les autres histoires de l’Eu-