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PHILOSOPHIE CONTEMPORAINE.

En outre, l’induction se fondant sur des ressemblances qui peuvent être trompeuses, n’arrivera jamais, tout le monde en convient, qu’à des résultats plus ou moins vraisemblables ; elle n’engendre que des présomptions.


Ainsi la philosophie qui s’appuie sur les principes écossais ne peut jamais prétendre à donner sur les êtres, au-delà de la simple existence, rien autre chose que des présomptions très bornées.

Est-il bien vrai qu’elle atteigne du moins l’existence des êtres ? En lui refusant le quid des substances et des causes, n’est-ce pas trop lui accorder que de lui en laisser le quod ? Après avoir réduit toute philosophie qui prend pour principes ceux de l’école écossaise à ce que demande cette école, il faut, ce nous semble, aller plus loin ; il faut établir que la demande est encore excessive et dépasse le droit.

On nous dit que la vue des phénomènes n’est que l’occasion ou la circonstance qui détermine la raison à nous découvrir l’existence de certaines réalités qu’ils supposent ; qu’à l’occasion, à propos de la perception d’un changement, d’une qualité, elle nous révèle d’elle-même la cause et la substance. Le vague de l’expression semble accuser ici l’insuffisance de l’idée ; sous les mots, on sent un vide, une lacune qu’ils dissimulent mal. Comment d’un phénomène la raison passe-t-elle ainsi à l’affirmation de l’être ? Comment un pur mode devient-il l’occasion qui lui suggère l’idée de la nécessité de la substance ? Comment, à propos d’un évènement, s’élève-t-elle tout à coup à la cause ? Comment, enfin, le phénomène est-il la circonstance qui détermine la raison à le concevoir comme un effet et un attribut ? Les Écossais ont vu là un fait qui ne demandait pas, qui ne souffrait pas d’explication. C’est, dans le langage de Reid, l’effet d’une certaine faculté d’inspiration et de suggestion ; selon M. Cousin, une révélation de la raison. Est-ce donc, demande M. Schelling, le résultat mystérieux d’une sorte de qualité occulte de l’intelligence ? Mais, s’il en est ainsi, la raison humaine ne se justifie plus que par des instincts aveugles, et le scepticisme de Hume a gain de cause.

Un des philosophes écossais avait appelé leurs vérités premières des préjugés légitimes. N’est-ce point là le vrai nom, et n’est-on pas obligé de convenir que cette philosophie ne peut aboutir à rien en fait de science des êtres qu’à des présomptions édifiées sur des préjugés ?


Dans la philosophie de Kant, il en est tout autrement. D’abord l’expérience n’y est pas seulement une occasion pour la conception