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encore qu’il ne dût pas ajouter un mètre carré à son territoire, ni un soldat à ses armées !

Que le pays apprécie donc sa position véritable, que dans les jours de crise qui semblent près de se lever pour lui, il sache à quelle œuvre vouer son énergie, à quelle pensée demander sa force, et qu’il ne dépense pas dans une poursuite stérile des efforts dont il compte à l’humanité tout entière. La France est placée dans cette position unique au monde, de se montrer généreuse par égoïsme et de considérer comme une conquête le redressement de toute injustice. Que ne pourrait un tel peuple se dévouant à un tel rôle, sous la main d’un pouvoir qui, sans provoquer les occasions par la violence de ses actes, saurait les féconder par la constance de ses principes !

On peut réduire à quelques maximes fort simples celles que la France est appelée à faire prévaloir par l’esprit général de sa politique et la persévérance de ses efforts, soit que ceux-ci s’exercent dans cette conférence européenne si malheureusement interrompue après un quart de siècle d’existence, soit que les évènemens la contraignent à reparaître sur ces grands champs de bataille dont elle n’a pas oublié les chemins.

Si notre âge est appelé à fonder un droit public qui lui soit propre, ce droit aura nécessairement pour base la reconnaissance de ce triple principe, qu’un peuple s’appartient par un titre imprescriptible comme l’homme lui-même, qu’un attentat à toute nationalité, non justifié par le soin impérieux de la défense personnelle, est un véritable homicide social, et que le premier devoir de la grande amphyctionie des peuples chrétiens est de redresser graduellement, selon le vœu de la nature, des combinaisons contre lesquelles proteste la conscience publique.

Du jour où la France aurait solennellement proclamé ce dogme, elle aurait conquis en Europe une force immense ; du jour où l’Europe l’aurait à son tour accepté, la paix du monde aurait reçu le gage le plus éclatant qu’il soit permis à l’humanité de lui donner. Nul n’oserait affirmer, à coup sûr, qu’une telle pensée soit destinée à se réaliser complètement dans l’ordre politique ; mais les idées même qui passionnent le plus violemment les hommes sont bien rarement appelées à recevoir une application rigoureuse, et ce désaccord de la pratique à la théorie n’empêche pas leur puissance de rester entière, et les peuples qui en gardent le dépôt de porter un signe éclatant aux yeux de tous.