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s’asseoir sur cette terre de ruines et se la partager pour la rendre de nouveau féconde, alors le moment sera venu de redresser dans l’intérêt de tous le système territorial de l’Europe occidentale. En s’en remettant loyalement aux vœux des populations elles-mêmes pour ce qui concerne l’extension de ses frontières, la France exigera du moins que toute sécurité soit rendue à celles-ci par l’occupation des points dont l’ombrageuse jalousie des négociateurs du traité du 20 novembre 1815 les a systématiquement dégarnies. Un retour aux dispositions primitives du traité de Vienne, si perfidement modifié par celui de Paris après le désastre des cent jours, serait moins une conquête qu’une garantie pour la France, et celle-ci reste en toute occasion dans son plein droit de l’exiger. Peut-être ce gage d’indépendance et de force suffirait-il pour lui rendre au dehors son influence légitime et nécessaire, si cette réintégration dans des parties intégrantes de son territoire se combinait avec de larges dispositions réparatrices pour la Pologne, et, dans la zone qui nous touche immédiatement, avec des modifications territoriales que la Prusse aurait elle-même intérêt à consacrer. À ce prix la France pourrait laisser s’accomplir aux rives du Bosphore, des changemens qui n’affecteraient d’une manière sérieuse aucun de ses intérêts directs et permanens.

Mais un tel rôle ne peut commencer pour nous qu’après que nous aurons dû renoncer à l’espoir d’en remplir un autre. Ce respect pour l’indépendance des nations, dont nous convions la France à faire la base de son droit politique, est acquis aux pouvoirs dans leur faiblesse comme dans leur force, et la Turquie s’efforçant aujourd’hui de secouer la rouille qui la ronge, et de suivre de loin la civilisation de l’Europe chrétienne, existe à un titre plus sacré pour celle-ci que lorsque les sultans la menaçaient de leur prosélytisme sauvage.

Dans ces vues de conservation pour tous les intérêts véritables et de bienveillante tutelle pour tous les efforts, quelles pensées devaient naturellement préoccuper la France, quels plans devait-elle suivre et quels résultats se proposer ?

Il répugnait au bon sens de rendre à l’administration directe de la Porte des provinces lointaines où sa domination ne s’exerça jamais que d’une manière incertaine et contestée, et où il est trop évident qu’elle ne pourrait en aucun cas se rétablir sur des bases quelque peu solides. Et lorsqu’un gouvernement, puissant du moins par la force militaire et par deux générations de grands hommes, avait arraché au brigandage et à l’anarchie le sol magnifique qu’ils désolent depuis tant de siècles, il était manifeste que le premier soin de la France,